La Daqqa
La daqqa, “ tambourinage ”, est une musique collective et masculine de percussions polyrythmiques et de chant choral. Elle se pratique, à Marrakech et dans sa région, traditionnellement une fois par an, à l’occasion de la fête de l’Achoura, qui a lieu le 10 du mois de muharram, premier mois de l’année du calendrier lunaire. Cette fête a pour but de rappeler aux croyants qu’ils ont le devoir de s’acquitter de la zakât, l’aumône légale, au bénéfice des plus démunis, un des cinq piliers de l’islam. Mais sur cette obligation rituelle sont venues se greffer d’autres traditions : visite des cimetières, distribution de friandises et de nombreuses pratiques à caractère carnavalesque : musique, travestissements, feux rituels, aspersion des passants à l’eau…
Tracklist
1 – Le récitatif de la daqqa de Marrakech/Aït – 62’31
Interprètes et instruments
El Hadj Abdeslam
Abderrazzak Ben Moqadem
Mohamed Agair
Ahmed Aïtchalla
Abderrahmane Atakkaout
Boubker Chhoud
Abderrahman Danja
El Hadi Driouich
Brahim Houdali
Mohamed Khirani
Jilali Laghnam
Mohamed Mardat
Mohamed Rachid Mouahid
Mustapha Msalhi
Moulay El Mahi Samrakandi
À propos
La daqqa, “ tambourinage ”, est une musique collective et masculine de percussions polyrythmiques et de chant choral. Elle se pratique, à Marrakech et dans sa région, traditionnellement une fois par an, à l’occasion de la fête de l’Achoura, qui a lieu le 10 du mois de muharram, premier mois de l’année du calendrier lunaire. Cette fête a pour but de rappeler aux croyants qu’ils ont le devoir de s’acquitter de la zakât, l’aumône légale, au bénéfice des plus démunis, un des cinq piliers de l’islam. Mais sur cette obligation rituelle sont venues se greffer d’autres traditions : visite des cimetières, distribution de friandises et de nombreuses pratiques à caractère carnavalesque : musique, travestissements, feux rituels, aspersion des passants à l’eau…
A Marrakech, pour les enfants, c’est la fête de la ta’rija, un tambour en terre cuite en forme de trompe, que les parents leur offrent en cadeau – cadeau qu’ils sont parfois obligés de renouveler à plusieurs reprises, car la peau, très fragile, se perce fréquemment. Fabriqués pour l’occasion, ces tambours viennent de toutes les régions et villes de potiers du Maroc et l’on en reconnaît le style et l’origine au décor et à la forme. Il se fait ainsi un commerce occasionnel auquel se livre beaucoup de monde, un peu comme en France le commerce du muguet au 1er mai.
Durant les semaines précédant le jour de l’Achoura, on entend tambouriner et chanter toute la journée dans les maisons de la médina et dans ses ruelles, jusque tard dans la soirée. Mais on n’y joue pas seulement pour s’amuser : c’est ainsi que se prépare la grande et solennelle séance de daqqa du soir de l’Achoura, qui se déroulera dans plusieurs lieux de la ville, chacun symbolisant un groupe de quartiers.
Les jeunes s’exercent pendant plusieurs semaines en se livrant à des compétitions de percussions dans l’espoir d’être admis à participer à cette grande cérémonie. Les tout petits enfants, les plus impatients, commencent les premiers puis, au fur et à mesure, les plus âgés s’en mêlent. Progressivement, se mettent en place une émulation et une sélection spontanées. Rue par rue, les meilleurs se constituent en équipes et les différentes équipes fusionnent pour former des “ ligues ” de quartier, qui se renforcent en grossissant à l’approche du jour fatidique.
Le soir de la grande séance de daqqa, tous se retrouvent sur le lieu consacré de chaque quartier, mais cette fois-ci sous l’autorité d’un groupe d’anciens, conduits par un personnage honoré du titre d’al-amîn (dépositaire ou arbitre), le maître de cérémonie. Les participants s’assoient et forment un grand cercle au milieu duquel al-amîn se tient debout. Puis, sous son autorité implacable, la daqqa commence, d’abord lente, solennelle et tendue pendant une très longue phase, puis de plus en plus accélérée jusqu’à l’apothéose finale. Les jeunes s’accompagnent à la ta’rija, les anciens au tambour sur cadre, aux crotales et aux neffar-s, les grandes trompes à une seule note. Ces dernières n’interviennent qu’à la phase finale.
En réalité, derrière cette entreprise, se joue une épreuve secrète dont l’enjeu est inscrit dans la structure même de la daqqa. En effet, la partie percussion de cette forme musicale est constituée par plusieurs strates de tambourinages croisés, distribuées entre autant d’acteurs. Les joueurs dépendent donc les uns des autres et doivent obligatoirement faire corps, coordonner leurs mouvements et leur jeu. D’autre part, dans la daqqa , la mesure est indifféremment à deux ou à trois temps et cette caractéristique rythmique a pour effet un entraînement irrésistible à l’accélération. Aussi, outre le plaisir qu’elle entraîne, l’enjeu caché derrière l’organisation de la daqqa est d’apprendre aux novices à se maîtriser en les soumettant à l’épreuve de la résistance à l’excitation rythmique. C’est pourquoi, pendant la grande exécution publique, en particulier au cours la phase lente dont la durée est prolongée indéfiniment à dessein, les jeunes joueurs sont tenus sous haute surveillance. Au moindre décalage de jeu, au moindre relâchement ou à une infime précipitation de rythme, al-amîn ou un de ses assistants se précipite sur le fautif, lui fait tomber le tambour des mains sans ménagement et le brise. Personne ne proteste jamais : c’est la règle du jeu.
Au-delà de l’aspect concret de l’épreuve, il s’agit de rappeler à la jeunesse que la lenteur des adultes et des personnes âgées ne doit pas être considérée seulement comme une perte de vitalité, mais qu’elle apporte aussi un gain au niveau du contrôle des instincts et de la domination de soi.
A partir de cette fête populaire se sont constituées des équipes permanentes formées des meilleurs pratiquants, grâce auxquels cette musique se fait désormais connaître dans le monde entier.
Hassan Jouad – ethnomusicologue
Un emblème musical
On décrit la daqqa comme l’emblème musical de Marrakech. C’est tellement vrai que certaines personnes réputées pour leur piété, que l’on osait à peine imaginer parmi les amateurs de cet art, se joignent discrètement aux joueurs à la faveur de l’obscurité de la nuit. Leur apparition raffermit le cœur des novices enclins aux emballements, la vertu essentielle de cet art étant l’initiation à la patience.
Se mettre en cercle et tenter de se maîtriser rappelle les conditions des assemblées du dhikr. D’ailleurs, le récitatif (aït) composé de louanges divines et de prières pour le Prophète, en hommage à la mémoire des maîtres soufis enterrés à Marrakech, et l’évocation des sorties conviviales dans les grands jardins aux alentours de la médina – aux réminiscences paradisiaques – emprunte largement aux exercices spirituels des zaouia-s. Cet art traditionnel ne s’est pas coupé de ses racines spirituelles garantissant ainsi à ses pratiquants d’éventuelles réalisations intérieures.
L’œuvre musicale traditionnelle construit un monde sonore hors du temps. Ainsi, l’art de la daqqa obéit-il à cette règle et la lente progression des percussions en début de cérémonie ne dévoile-t-elle rien de l’embrasement final à l’aube. Le récitatif tel qu’il est déclamé au cœur de la nuit de l’Achoura se combine aux percussions des ta’rija-s; de la même façon, l’économie de la parole se soustrait à l’altération du temps.
Autrefois, les virtuoses de cet art préféraient s’éloigner du cercle des joueurs, à une distance appréciable pour juger de la qualité quasi géométrique de l’exécution. Si Rabelais construisait, semble-t-il, ses écrits sous forme d’édifices gothiques, l’architecture rythmique de la daqqa rappelle mystérieusement la forme pyramidale. Présent lors d’une cérémonie à Marrakech, l’écrivain égyptien Gamal Ghitany, connu entre autres pour ses belles méditations sur “ Le Dedans des Pyramides ”, fut saisi par une telle ressemblance.
De nos jours, les milieux qui perpétuent l’art de daqqa pratiquent également des jeux et des sports très anciens, traditionnellement au pied de la Koutoubia. Leur art de vivre est largement tributaire des idéaux chevaleresques de la futuwwa dont les réminiscences demeurent vivantes dans ce qui reste du monde traditionnel des corporations artisanales. En attendant d’occasionnelles festivités dans leur cité ou en dehors de leur terroir, la plupart de ces artistes reprennent leur métier d’artisan ou rivalisent de prouesses sportives dans les grands jardins aux environs de Marrakech : la chasse au sloughi ou la quête de l’oiseau rare…
La relève des grands maîtres
Depuis un peu plus d’un siècle, l’histoire de la daqqa se confond à Marrakech avec celle de la famille de Hadj Abdeslam. Ce dernier, initié par son père, occupa très jeune sa place dans le cercle de son quartier, l’un des sept hauts lieux de cet art dans la fameuse cité rouge. Intimidé, il devait participer au jeu auprès de ses pairs dont la plupart étaient centenaires !
Très souvent, les postulants à la daqqa se recrutent dans les milieux traditionnels, au sein des différentes branches des corporations artisanales. L’oncle de Hadj Abdeslam, qui créa le mémorable “ groupe des quarante ” (quarante joueurs), exerçait le métier de tailleur.
L’art de Hadj Abdeslam et de ses compagnons est l’une des multiples facettes de la traditionnelle convivialité de Marrakech. Ainsi sont les usages et le tout se conjugue parfaitement avec l’art de vivre dans les grands jardins.
Jaafar Kansoussi – sociologue
Extraits du récitatif, aït
Par le nom du Miséricordieux nous commençons
Le nom du Très-Haut
Prière sur la Beauté des Beautés
Tâhâ et Yâssîn
Ton intercession ô Seigneur des Envoyés que nous implorons
Ô notre Prophète
Ô Bonheur mien, Ô notre Intercesseur
La prière d’Allah sur toi Ô Qoraïchite
Ô Muhammad distingué Messager…
Gens de la zaouia, je viens à vous en pèlerin
Retrouver la gazelle au regard d’airain…
(Traduit de l’arabe par Jaafar Kansoussi)
- Référence : 321.028
- Ean : 794 881 497 928
- Artiste principal : La Daqqa (الدقّة)
- Année d’enregistrement : 1999
- Année de fixation : 1999
- Genre : Daqqa
- Pays d’origine : Maroc
- Ville d’enregistrement : Paris
- Langue principale : Arabe
- Compositeurs : Musique traditionnelle
- Lyricists : Musique traditionnelle
- Copyright : Institut du Monde Arabe