Chant d’Alep

Chant d'Alep

Sabri Moudallal

Sabri Moudallal qui a grandi dans la tradition alépine et qui a rejoint la transmission musicale des muezzins, se présente comme l’un des derniers bastions de l’art savant et urbain. Compositeur et interprète loin de tout académisme, il défend l’esthétique de ce phénomène si difficile à cerner et qui est à la base de l’audition musicale arabe : le tarab, l’émoi.
Son répertoire repose sur la suite dite wasla, qu’elle soit religieuse ou profane. Cette forme, qui ne survit actuellement dans le monde arabe que dans la ville d’Alep, est ici rehaussée par une couleur instrumentale et vocale sur laquelle vient se greffer l’intonation dialectale propre à cette ville, avec un sens particulier de la rythmique, parfois sautillante et allègre.


Tracklist

1Yâ ‘uyûnâ râmiyât/Œuillades – 02:37
2‘Unq al-malîh/La nuque du bel amant – 05:31
3 – Improsisation sur qânûn – 00:51
4 – Improvisation vocale layâlî – 02:48
5Yâ sâkinîn bi-qalbî/Vous qui habitez mon cœur – 05:11
6Al-hubb mâ huwa bi-I-sahl/L’amour n’est pas chose aisée – 17:56
7 – Interlude instrumental – 01:00
8 – Improvisation sur luth – 03:49
9Ta’adhabtu/J’ai souffert – 03:40
10Qudûd/Chants en dialecte aleppin – 15:43
11Salawât/Prières – 01:24
12Ahmad yâ habîbî/Ahmad, mon bien-aimé – 05:48
13Yâ hâdî/Toi qui conduis, Pt. 1 – 00:52
14Yâ hâdî/Toi qui conduis, Pt. 2 – 01:55
15Yâ hâdî/Toi qui conduis, Pt. 3 – 01:09
16 – Tala’a al-badru ‘alaynâ/Tel la pleine lune, il apparut – 03:45


Interprètes et instruments

Sabri Moudallal (chant)
Maher Moudallal (chœur)
Mohammad Hamadié (Chœur)
Muhammad Qadri Dallal (oud)
Wahid Saqa (qânûn)
Abdel Mon’im Sankari (Kamandja)
Muhammad Khayr Nahhas (nây)
Muhammad Saleh Baghdach (riqq, mazhar)


À propos

Malgré son âge avancé, il porte allègrement ses 76 ans et apparaît comme un jeune premier. Sa notoriété s’est révélée tardivement. C’est assurément le choc de ces dernières décennies et la découverte d’une des grandes voix de la musique arabe traditionnelle. Il se présente comme l’un des derniers bastions de l’art savant et urbain. Et bien qu’il soit de plus en plus sollicité, Sabri Moudallal n’en continue pas moins de vivre comme il l’a toujours fait : une vie simple, empreinte de musique et de chant. Il fredonne à longueur de journée, soit des anciennes mélodies qu’il adapte à son goût, soit il en invente de nouvelles. Il juge ses propres interprétations au moyen de la cassette et y projette un regard critique. Il écoute aussi attentivement celles des autres. Curieux, ouvert, tolérant, il aime également se laisser griser par d’autres musiques à condition qu’elles soient voisines de l’esthétique qu’il défend et qu’elles lui instillent ce phénomène si difficile à cerner et qui est à la base de l’audition musicale arabe : le tarab, l’émoi.

Ne se reposant pas sur ses lauriers, Sabri Moudallal remet constamment son métier en question. Sa quête de la perfection devient son pain quotidien. Car il est autant compositeur, dans le sens traditionnel du terme qu’interprète. C’est-à-dire qu’il invente et mémorise, puisqu’il s’agit d’une tradition orale, des mélodies qui reçoivent d’emblée une patine telle qu’elles se glissent harmonieusement dans le répertoire et donnent l’impression d’être séculaires. Mais pourtant on les reconnaît à l’audition : c’est du Moudallal. Il est donc loin de tout académisme. De plus il lui arrive, lorsqu’il pressent que telle pièce dont il a hérité est bancale, de lui ajouter ce que par instinct il devine, la cheville qui manque. Il parfait ainsi l’œuvre et lui donne sa signature définitive bien qu’anonyme. Là aussi Moudallal demeure fidèle à l’esprit de la tradition : celle de s’effacer devant l’œuvre musicale mais cela ne peut venir que de sa nature : c’est un musicien né, fait pour la musique. De très nombreuses mélodies que Moudallal a composées puis chantées, selon les canons de la transmission orale, se sont répandues comme une traînée de poudre dans la ville d’Alep et aussitôt ont été reprises et adoptées : elles sont désormais considérées comme des classiques, à l’exemple d’Ahmad yâ habîbî contenu sur ce disque compact, dans la section dévolue au chant religieux. Peu de gens savent que ce sont des créations de Moudallal : elles sont des plus prisées dans son milieu d’Alep, cité qui l’a vu naître, grandir et où il a toujours mené sa carrière. Il y a quelques années, lorsqu’il animait des mariages, on entendait les invités, emportés par son chant, se prêter à un jeu de mots, dont la langue arabe est friande, car le patronyme de Moudallal signifie celui qui est choyé. On entendait jaillir l’interjection suivante : “ Yâ mudallal, dallel ”[O toi qui es choyé (grâce à ton don vocal) gâte nous en retour]. Il chante pour un public toujours présent dans son esprit. Autrement dit, s’il donne le sentiment de se laisser entraîner par son propre jeu, s’il s’abandonne aux vertus de l’improvisation métamorphosant ainsi toute composition et lui insufflant la vie, il s’adresse toujours à quelqu’un de présent qui vibre face à lui. Il le flatte, le loue, lui communique tout au long de ses improvisations, des apartés pour lui rappeler ainsi qu’il ne l’a pas oublié, malgré la lourde tâche qu’il a endossée, celle de mener le chant avec toutes les fioritures que l’improvisation requiert. Ainsi dans le début du mawwâl baghdâdî on l’entend dire à l’adresse de son auditoire : Antum ‘uyûnî. Littéralement [vous êtes la prunelle de mes yeux], c’est-à-dire, vous êtes ce qu’il y a de plus cher pour moi. Dans le deuxième mûwachchah, on l’entend également s’écrier en dialecte purement aleppin : yâ tislamlî [que Dieu te garde]. Ce terme n’est pas dans le texte d’origine mais vise l’auditoire. Moudallal montre ainsi qu’il ne sépare jamais l’interprétation d’une pièce, aussi savante qu’elle soit, de sa destinée finale, quitte à faire quelques entorses sur le plan de la syntaxe musicale. Ici se devine le lien qui unit l’improvisation à son public et qui fait sa force. De la tradition, il fait une contemporanéité.

La vie de Sabri Moudallal ne comporte aucun événement particulier. Il est né en 1918 et a toujours fui les mondanités, n’accordant que peu d’importance aux rendez-vous médiatiques. Il en est resté à l’écart, préférant une soirée intime en compagnie d’amateurs de musique à une interview qui puisse le mettre en valeur. On ne saurait trouver son nom dans aucune publication, et les rares articles qui lui ont été consacrés dans la presse sont tout récents. C’est pourquoi, et bien qu’il soit à l’heure actuelle un des grands noms de la musique traditionnelle de Syrie — sinon le plus grand — Moudallal continue sa vie d’antan, celle qui cultive le vieil adage : pour vivre heureux, vivons cachés.

Sabri Moudallal est un disciple de ‘Umar Batsh (décédé en 1950) qu’il a longuement vénéré. De Batsh il dira : “ C’était un homme de science, mais pas un interprète soliste. ” Moudallal a grandi donc dans la tradition aleppine et a rejoint également la transmission musicale des muezzins, si importante dans cette ville pour la conservation du patrimoine. Car ici le muezzin n’est pas simplement un individu qui lance l’appel à la prière, c’est aussi un hymnode hors pair. Il pratique le riche répertoire des chants religieux. La tradition aleppine se reconnaît aisément. Elle est basée sur une certaine couleur instrumentale et vocale sur laquelle vient se greffer l’intonation dialectale propre à cette ville, particulièrement mise en valeur par la série des qudûd — pièces populaires urbaines entrées dans la musique savante—qui clôturent la suite dite wasla. Cette musique possède en outre un sens particulier de la rythmique, parfois sautillante et allègre. Son esthétique générale respire joie et optimisme, car il s’agit bien de bonheur que distille avant tout ce répertoire, comme il ressort par exemple du mûwachchah : ‘unq almalih [La nuque du bel amant] même si dans le texte il est fait souvent allusion à des amours malheureuses et à la séparation. Le répertoire de Sabri Moudallal repose sur la suite, qu’elle soit religieuse ou profane. Il dispense donc ces deux genres qu’il maîtrise parfaitement. La suite porte le nom de wasla : littéralement ce qui relie, c’est-à-dire une série de pièces mises côte à côte selon des règles dictées par la syntaxe musicale et appliquées par la tradition. Cette forme qui doit certainement être ancienne n’apparaît dans les écrits qu’à partir du XVIIIe siècle. La wasla, qui fut aussi chantée en Egypte, a disparu de ce pays. Elle ne survit actuellement dans le monde arabe que dans la ville d’Alep.

Moudallal a été soliste à la radio d’Alep dès sa fondation en 1947, puis il fut désigné muezzin à la Mosquée ‘Abbâra, poste qu’il conserva de très nombreuses années. Cette mosquée, située au cœur de la nouvelle ville dans le quartier des affaires, permettait de l’entendre cinq fois par jour et sa voix inondait l’espace. Il avait formé à l’époque un petit groupe de munchidîn (hymnodes) spécialisé dans le répertoire religieux. Avec ce dernier, il animait surtout les mariages, comme il participait dans les mosquées d’Alep, à l’époque du ramadan, à des séances religieuses chantées. C’est en 1975 qu’il est venu pour la première fois avec son groupe à Paris où il fut l’invité du Festival d’Automne. Il a enregistré un disque 33 tours de chants sacrés, aujourd’hui transféré sur disque compact. Son groupe s’intitulait Muezzins d’Alep. Si c’est sous cette appellation qu’il a été connu en Occident, on n’en continue pas moins de l’appeler Sabri Moudallal dans son propre pays. A partir de là, le succès international le porte au zénith et lui ouvre des horizons nouveaux. Il a sillonné le monde et chanté tant à Hong-Kong qu’à Genève, Berlin, Tunis ou Héraklion et il a délaissé la formation du quatuor vocal, pour fonder un nouveau groupe Firqat al-turâth [Ensemble du patrimoine]. Il se fait depuis accompagner par un takht classique, soit l’orchestre de chambre arabe traditionnel composé de quatre à cinq instruments, où s’illustre le nom du joueur de ‘ûd syrien Muhammad Qadri Dallal. A ce takht s’ajoute un petit chœur composé de membres issus de sa famille. Conscient de la valeur de cet interprète muezzin, le gouvernement syrien l’a nommé, ces dernières années, premier muezzin de la Grande Mosquée d’Alep, dite Mosquée Zakariyyâ où il officie seulement une fois par jour à la prière de midi (zuhr). Devenir le premier muezzin de sa ville, est le plus grand titre religieux auquel, sur la fin de sa carrière, tout muezzin syrien aspire.

Christian Poché, ethnomusicologue


  • Référence : 321.001
  • Ean : 794 881 504 923
  • Artiste principal : Sabri Moudallal (صبري مدلل)
  • Année d’enregistrement : 1993
  • Année de fixation : 1999
  • Genre : Wasla
  • Pays d’origine : Maroc
  • Ville d’enregistrement : Paris
  • Langue principale : Arabe
  • Compositeurs : Omar Batsch ; Musique traditionnelle
  • Lyricists : Musique traditionnelle
  • Copyright : Institut du Monde Arabe