Muhammad Rammal

Muhammad Rammal est représentatif de l’émergence d’une jeune génération d’intellectuels et d’artistes chez les chiites du Liban, qui sont rompus à la vie moderne mais ont tenté de se réapproprier leur identité culturelle dans les années 1980 et 1990. Après une formation et une pratique professionnelle intense de la musique de variété (il a accompagné Georges Wassouf aux claviers), Muhammad Rammal est retourné à une pratique religieuse stricte (il a fait le pèlerinage), tout en mettant son savoir-faire musical au service du militantisme chiite. C’est ainsi qu’il est devenu « le chanteur de charme des religieux » (mutrib al-culamâ’), appellation que les lettrés religieux eux-mêmes lui ont décernée, et dont il est très fier, mais qui ne manque pas d’ironie.

Muhammad Rammal a su adapter des textes religieux à de nombreuses mélodies et formes populaires incontournables dans la vie sociale au Liban, en particulier lors des mariages. C’est ainsi que le groupe est composé non seulement de solistes vocaux (Muhammad et Rawda Rammal), mais aussi de percussionnistes qui permettent l’interprétation de pièces très enjouées, et dont certaines sont dansées. Simultanément, Muhammad Rammal ne se départit pas des prières rituelles dites sur le Prophète et sur sa famille.

Ce qui fait la force esthétique de Muhammad Rammal, c’est le fait d’assumer aussi l’héritage des qâri’, les grands hymnodes chiites (les cheikhs Haydar al-Mawlâ et Ibrahim al-Ballût, Basim al-Karbalâ’î), dans son interprétation psalmodiée du huzn et du cazâ’, avec leur grande richesse modale et une prédilection pour les modes sabâ et huzâm, connus pour leur aptitude à évoquer la tristesse. Mais c’est surtout à travers cette qualité de voix particulière que le sanglot est devenu une forme musicale conventionnelle complètement intégrée à l’esthétique : une voix aux inflexions si riches qu’elle rend comme aucune autre l’atmosphère émotionnelle extraordinaire de l’épopée des Alides.

Jean Lambert


Album disponible : L’Epopée de l’Achoura