Chants soufis de Tunis

Chants soufis de Tunis

La Sulâmiyya

Fondé en 1958, l’ensemble Sulâmiyya assure, avec talent et grandeur d’âme, la pérennité de la tradition soufie établie par de nombreuses confréries. Celles-ci, installées au Maghreb, et en particulier en Tunisie, depuis le IXè siècle, ont réussi à réhabiliter la musique et à lui redonner sa dimension spirituelle. Sulâmiyya, lui, en a fait l’intermédiaire idéal entre les hommes et le monde céleste et l’a dotée d’un pouvoir à la fois magique, émotionnel et thérapeutique. Son répertoire, soutenu par des percussions, est basé essentiellement sur les performances vocales.


Tracklist

1Al-‘Âda  – 4’51
2Tajwîd  – 12’27
3Sulâmiyya – 7’12
4Ana Bwâya – 3’34
5Lagmar wa ndjoum – 3’34
6Qâdiriyya – 5’43
7Tayyibiyya – 8’06
8 – ‘Isâwiyya – 17’23


Interprètes et instruments

Cheikh Abderrahman ben Mahmoud (chef de chœur, chant)
Cheikhs Ahmed Shehini (chant, bendir)
Hadi Na’ât (chant, bendir)
Abderrazzâq Tounsi (chant, bendir)
Badreddin ben Mahmoud (choeur, bendir)
Soulaymân ben Mahmoud (choeur, bendir)
Salah Melliti (choeur, bendir)
Abdelazîz ben Mansour (choeur, bendir)
Hmida Naqqash (choeur, bendir)
Yacine Landoulsi (choeur, naqarât)


À propos

L’Islam musical

Dans le sillage de la religion musulmane qui s’est répandue à l’Ouest jusqu’à la côte atlantique de l’Afrique et à l’Est jusqu’en Indonésie, un vaste réseau de communication et d’échanges culturels s’est établi. Les différents degrés d’islamisation, tout comme les multiples cultures qu’elle pénètre, sont autant d’éléments qui ont contribué à façonner et à diversifier la physionomie culturelle du monde musulman.

Les conséquences ont été incontestablement très importantes sur le plan musical car plus que les autres aspects culturels et artistiques, c’est la musique qui traduit le mieux cette espèce « d’unité dans la diversité » dont se parent les arts islamiques (…). Tout le long de son évolution historique et de son expansion géographique, ce fond musical constamment enrichi par les différents apports locaux, réussit à imposer son cachet spécifique, partout où, relativement, la langue arabe et, plus particulièrement, le message islamique ont pu triompher (…).

Une réelle impulsion a été donnée à la musique grâce au vieux système des corporations artisanales, notamment au sein du courant mystique : le taçawwuf, dont la doctrine remonte au premier siècle de l’hégire (VIIe s.) avec les premiers ascètes (zuhhâd sing. zâhid), mais qui, sur le plan de la voie (tarîqa)ne fut institutionnalisé que plus tard. La musique y occupe une place de choix. Le soufisme, tout en servant de pont entre les hautes sphères mystiques et la dévotion populaire, a inspiré une riche tradition de poésie et de musique, aussi bien dans les cercles cultivés que dans le milieu populaire.

Le tout par le biais de nombreuses confréries musulmanes (tarîqa, plur. turuq) qui ne sont ni des sectes, malgré ce que leur histoire, parfois tourmentée, pourrait laisser croire, ni l’équivalent d’un ordre régulier, mais des groupements par affinités spirituelles qui, toujours dans le cadre de l’orthodoxie et de la mystique, se distinguent comme des voies particulières par leur système d’organisation, leurs pratiques et certains traits de leur enseignement ainsi que leur prédilection pour un Saint ou un Maître particuliers. Obéissant à une règle qui est générale dans le domaine de la religion, elles ont le souci de justifier leur légitimité en se rattachant au Prophète par une chaîne de successions (silsila), formée de Maîtres reconnus pour leur piété et leur science, qu’ils acquéraient traditionnellement après avoir longuement parcouru les pays d’Islam et recherché la fréquentation de leurs sages les plus éminents.

La création de la plupart des chants du répertoire de chaque confrérie remonte à l’origine de chacune d’entre elles ; ces chants font partie intégrante de l’enseignement donné aux disciples, et sont l’oeuvre de plusieurs Maîtres, dont le fondateur de la tarîqa concernée.

Traditionnellement, la plupart des zâwiya-s (siège de confrérie) se présentent comme étant un centre d’épanouissement pour l’art musical, à un point tel que leurs répertoires sont devenus une norme à partir de laquelle on juge la compétence des musiciens professionnels dont la majorité lui doivent, d’ailleurs, leur formation après celle prodiguée par le kuttâb (école coranique). Leur mérite quant à la préservation et le développement de la musique traditionnelle a été considérable, se contentant de la voix, élément de base dans ce répertoire où certaines confréries utilisent les instruments de percussion seuls ou accompagnés des instruments à vent, d’autres tolèrent tous les instruments. Bien quelle soit fréquemment présente dans les occasions profanes : naissance, mariage, circoncision, khatma (fin de l’étude d’une section du Coran par un enfant…), cette musique est à l’honneur surtout durant les fêtes religieuses parmi lesquelles nous citerons le mawlid al-nabawî (anniversaire du Prophète), ramadan (mois de jeûne), le hâj’ (pèlerinage). Il existe également des occasions très importantes tel le festival des Amdâh de Mulây Idrîs dans la ville de Zarhoun (Maroc), ainsi que la célébration du Mawlid à Kairouan (Tunisie).

Les confréries en Tunisie

Par sa position géographique, la Tunisie a été, depuis l’avènement de l’Islam, un lieu de rencontre entre les deux pôles de la civilisation arabo-musulmane : l’Orient et l’Occident. Cela lui a permis d’avoir des contacts avec plusieurs confréries dont l’apparition remonte à l’époque des Hafsides (1205-1570) avant d’atteindre son apogée vers la deuxième moitié du XVIIIe siècle, sous le règne de Muhammad al-Çâdiq bey. Plusieurs édifices soufis -mausolées, zâwiya – ont été bâtis, et les confréries, reconnues officiellement par la loi sous le patronage administratif d’un Cheikh, se sont multipliées à travers tout le pays. Ainsi, la plupart des régions, voire des villes et des villages ont-ils leurs lieux sacrés et les Saints (awliyâ’ plur. de walî) les plus importants ont leurs zâwiya dont le rôle est à la fois vocal, religieux, thérapeutique, expressif culturel, artistique et aussi hôtelier pour les pèlerins et les visiteurs. C’est également un lieu de rendez-vous pour un « défoulement collectif cyclique qui soulage métaphysiquement les âmes et physiquement les corps »(…).

L’une des plus anciennes confréries du monde arabe est la Qâdiriyya qui remonte à Sîdî ‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî (1097-1165) de Bagdad. Elle rayonne au Maghreb et, en particulier en Tunisie où l’on recense plusieurs confréries dont la Sulâmiyya qui remonte à Sîdî ‘Abdessalâm Lasmar (1475-1573) de la ville de Zlîten en Libye et l’A’rusiyya fondée par Sîdî Ben ‘Arûs au XVe siècle à Tunis. Le chant est accompagné par des instruments de percussion (bandîr) et exécuté par une chorale d’hommes placés en rond et effectuant des pas lents au rythme de la mélodie. Celle-ci est a priori composée, mais on permet aux solistes d’improviser en changeant le mode. Le répertoire de la Sulâmiyya est considéré comme l’un des plus riches du Maghreb et il est populaire tant à Tunis et à Nabeul qu’à Béja, Tozeur ou Nefta.

L’ensemble et son répertoire

La troupe Sulâmiyya de Mahmoud ‘Azîz s’est spécialisée depuis 1958 dans le répertoire sacré tant tunisien qu’oriental. Sa qualité et le niveau de ses solistes (munshid) lui a permis de gagner une grande notoriété et d’être invitée à de grandes manifestations culturelles en Tunisie et à l’étranger. Son interprétation s’appuie sur un répertoire dont le corpus musical et poétique repose sur l’oeuvre de plusieurs Maîtres notamment du fondateur de la tarîqa concernée. Partie intégrante de l’enseignement donné aux disciples, ce corpus constitue la perpétuation d’une tradition incluant musique, chant et danse par laquelle le mysticisme-maraboutisme tunisien s’est accompli.

On retrouve, inscrits au programme de la troupe, des extraits appartenant à plusieurs confréries religieuses répandues dans la Tunisie, ayant pour thème la vie du Prophète Muhammad (mûldiyya) et d’autres relevant du répertoire de la confrérie Tayyibiyya, Qâdiriyya, Sulâmiyya et ‘Isâwiyya. Lorsque le tarab (émotion) atteint son paroxysme, profane et sacré se rejoignent pour se fondre dans une même communauté d’esprit. Outre le chef de choeurs : Cheikh Abderrahman ben Mahmoud (chant, bandîr et târ), les virtuoses aux cordes vocales impressionnantes de puissance et de chaleur, les Cheikhs Ahmed Shehini, Hadi Na’ât et Abderrazzâq Tounsi, l’ensemble comporte en son sein des instrumentistes-choristes aux talents multiples : Badreddin ben Mahmoud, Soulaymân ben Mahmoud, Salah Melliti, Abdelazîz ben Mansour, Hmida Naqqash et Yacine Landoulsi.

Basé essentiellement sur la performance de la voix, ce répertoire utilise exclusivement les instruments de percussions comme les bandîr (grands tambours sur cadre circulaire munis d’une seule peau avec timbre), les nagharât (une paire de timbales hémisphériques en forme de cuvette munie d’une membrane et jouée à l’aide de deux baguettes) et un târ (petit tambour sur cadre circulaire muni d’une peau et de petites cymbalettes).


Détails des enregistrements

1 – Al-‘Âda
Terme donné à l’ensemble des hymnes confrériques. Interprétée à l’entrée de la zâwiya ou du lieu de célébration, elle s’accompagne généralement d’un grand bruit et de la frappe de rythmes particuliers. Le choix comporte quatre exemples :

Bismi-l-Lâh wa bil-Lâh
Au nom de Dieu et avec Dieu (madkhal
Allâh dâyim rabbî
Dieu l’éternel (tabdîla 1)
Shaykhî Lasmar 
Mon Cheikh Lasmar (tabdîla 2)
Agbala al-badru ‘alaynâ
La pleine lune est venue vers nous (inçirâf)

2 –Tajwîd
Psalmodie de quelques versets coraniques

3 – Extraits du répertoire de la Sulâmiyya

Yâ shaykhî Lasmar
O mon Cheikh Lasmar (muqaddima)
Bismi-l-karîm Rabbî ‘âlim al asrâr
Au nom de Dieu le miséricordieux connaisseur des secrets (bahr
Sammît bismi-l-Lah al-ma’bûd
Au nom de Dieu le Seigneur (khatim
Salâmu Allah ‘alâ ibn Maryam
Paix divine sur le fils de Marie (Récit de Marie, bahr
Sîdî Burâwî 
(Hymne à Abdessalam Lasmar, tabdîla)
Ya la’imî (suite, khatîm)
Anâ dawâya mushâhid al-rasûl
Mon remède est de visiter le Prophète (bahr)
Minnî wâsh ‘alayya
(suite, khatim )
Al-lîl zâhî bil-gamar wi-njûmâ
La nuit s’illumine par la lune et ses étoiles (Hymne à Abdessalam Lasmar, bahr

4 Ana Bwâya
Louanges à Mohamed

5 Lagmar wa ndjoum
La lune et les étoiles

6 Extraits de la Qâdiriyya

‘Alâ bâbi khayri al-khalqi awqafanî qaçdî
Devant la porte de la meilleure créature je me suis arrêté (Hymne au Prophète) 
Yâ lâ’imi fî gharâmî
Ô toi qui reproches ma passion (tabdîla 1) 
Wallâh mâ nughlab
(suite, tabdîla 2)
Yâ faris Baghdâd âh yâ Jîlanî
(Hymne pour le patron de la Qâdiriyya, tabdîla 3) 
Abhâ qamarun arsalahu-l-Llâh
La plus belle lune que Dieu a envoyée (hrûb)

7 Extrait du répertoire de la Tayyibiyya

Min yakhdim al-ashrâf yis’id
Heureux celui qui est le serviteur des Shorfa
Al-Salât ‘alîk yâ zîn al-‘amâma 
(Prière et salutations divines sur « Toi Ô Prophète », tabdîla) 

8 Extraits de la ‘Isâwiyya

bidâya – wird qudûm – mjarrad (sons rythmés)
Yâ khûtî mâ nîsh gharîb
Ô frères je ne suis pas un étranger (Hymne au patron de la ‘Isâwiyya)
Yâ lâ’im lakhnân (suite, tabdîla 1) 
Man râd sirra-l-Lâh
Qui aspire au secret divin (tabdîla 2)
Yâ tâbi’ al-asyâd” (suite, insirâf) 
basmala – mjarrad (rythmé avec les mains)
Bismi-l-Lâh awwaluhu
Au nom de Dieu… (Hymne au Prophète)
Mâk al-shaykh al-kâmil
Tu es le Cheikh parfait (insirâf)
khammâri (rythmé avec les bandîr, nagharât et târ)
Yâ wâlî Miknâs
Ô patron de Meknès
Yâ ahl Allâh ibî bghâkum 
Ô gens de Dieu mon coeur vous aime (Hymne dédié aux saints, tabdîla)
Kîf na’mal yâ Rabbî min frâg lahbâb
Mon Dieu, comment supporter leur éloignement (barwal, suite)

notes 
madkhal = introduction
tabdîla = changement, modulation
bahr = partie chantée du répertoire d’une confrérie
khatîm, insirâf, hurûb, barwal = noms de rythmes, phase finale d’une partie chantée

Extraits de quelques textes du répertoire

Mûlad (naissance du Prophète)
ô vous, amoureux du Prophète
Prières et salutations sur lui
Nous nous réjouissons de sa naissance
Prières et salutations divines sur Lui
A sa naissance, j’égorgerai une vache
Prières et salutations divines sur le Cavalier de la Mecque et de Médina.
Dieu et les Anges répandent sur toi leurs bénédictions.
Ô Toi la meilleure des créatures de Dieu, ô notre Prophète…

La Hamaziyya (Hommage au Prophète – d’après al-Busayrî)
Les prophètes peuvent-ils s’élever jusqu’à toi
Ô ciel que nul ciel ne peut égaler
Ils n’ont pu te surpasser
Car ta lumière a une clarté particulière
L’exemple de tes vertus pour la terre
Est comme l’exemple des étoiles pour la mer
Tu es le phare de toute vertu
Et ta lumière n’engendre que lumière.

Qasîda soufie : Poème du « Vin Mystique » de ‘Umar Ibn al-Fâridh (1182-1234).
Nous avons bu, au souvenir du Bien-Aimé
Un vin
Dont nous nous sommes enivrés
Avant que la vigne ne fût créée
La coupe qui le renferme, disque brillant de la lune…
Le vin est le soleil …
Croissant lumineux, un échanson le présente à la ronde
Avec éclat il resplendit
Lorsqu’au vin se mélangent les étoiles
Sans le parfum qu’il exhale, un précieux parfum de musc,
Jamais je n’aurais trouvé le chemin de Vérité
Qui conduit à ses traverses.
Sans la lumière qui signale sa présence au loin
Jamais son image
Ne serait née dans mon esprit

Chant confrérique
Qâdiriyya
Abdul-Qâdir, (homme) à la souquenille !
Je suis venu à toi, ayant recours à ta puissance
Et celui qui t’invoque, ô Jilâlî
Tu es présent auprès de lui, et tu es avec lui.

‘Isâwiyya
Que vais-je faire maintenant que tous mes amis ont disparu ?
Ils me privent de boire après m’en avoir fait goûter la douceur.
Je pleure comme un homme en exil
Ô Sîdî Ben ‘Îsâ, mes amis sont partis loin de moi…


  • Référence : 321.025
  • Ean : 794 881 472 321
  • Artiste principal : La Sulâmiyya (السُلمية)
  • Année d’enregistrement : 1998
  • Année de fixation : 1999
  • Genre : Chant soufi
  • Pays d’origine : Tunisie
  • Ville d’enregistrement : Paris
  • Langue principale : Arabe
  • Compositeurs : Musique traditionnelle
  • Lyricists : Musique traditionnelle
  • Copyright : Institut du Monde Arabe