Chants sacrés du Sahara

Chants sacrés du Sahara

Ahallil de Gourara

Le Gourara, situé à 1200 km environ au sud d’Alger, compte une centaine d’oasis, peuplées de près de cinquante mille habitants. Timimoun est son chef-lieu. Trois ethnies se côtoient sur ce territoire : l’une d’origine soudanaise, l’autre d’origine arabe et celle des Zénètes. Ces derniers occupent la zone berbérophone, dans le centre et l’ouest de la région, et pratiquent l’ahallil.
Ce genre s’exécute de préférence après la tombée du jour, quand les contraintes du soleil et du désert cèdent la place à la douceur de la nuit. Alors, un groupe d’hommes se réunit en plein air et forme un cercle au milieu duquel se tiennent un poète et chanteur soliste, un flûtiste, un joueur de gumbri, des percussionnistes : tambour, pierres et mains. Tous, épaule contre épaule, répètent en chœur d’une voix grave, les complaintes aiguës du soliste, faites de suppliques ainsi que de quête de pardon et de grâce.


Tracklist

1 à 5Ahallil – 38’41
6 à 9Tagarrâbt – 27’31


Interprètes et instruments

Barka Foulani (direction)
Miloud Allaoui
Ahmed Benbarek
Touhami Bendjaouane
Brahim Deldali
Moussa Deldali
Mohamed Foulani
Mabrouk Ghandouri
Ahmed Ghiati
Salem Kaftali
Mohamed Kerzazi
Taïeb Maizi
Ahmed Nadjimi
Barka Yaichaoui


À propos

Le mot ahallil désigne à la fois un genre musical et le groupe qui le pratique. Sa signification précise, quant à elle, est sujette à controver­ses. Pour certains, ahallil est une altération de l’arabe ahl al layl (les gens de la nuit), parce que ce genre ne s’exécute, en principe, que pen­dant la nuit. D’autres font dériver le mot de hilâl, croissant, nouvelle nuit, toujours en référence à cette période nocturne. Ceux qui veu­lent y voir un lien avec l’islam établissent un rapport direct en­tre hallala, tahlîl (prononciation de la formule lâ ilâha illa Allah / Il n’y a de dieu que Dieu). En effet, le genre regorge de prières, de suppliques et de refrains où Dieu est glorifié dans son unicité. Quoi qu’il en soit, l’ahallil de­meure d’abord une musique et un ballet propres à une région du Sud-Ouest algérien : le Gourara (1 300 km d’Oran et de la mer). Ce genre s’exécute de préférence la nuit, quand les contraintes du jour ne sont plus qu’un mauvais souvenir. Car nous sommes dans cette région où la vie est une lutte perpétuelle au quotidien, contre le désert, le sable, la rareté de l’eau et l’inten­sité du soleil.

Si le genre est surtout l’apanage des Zénètes du Gourara, ces Berbères du Sahara, les populations des ksour (pluriel de ksar, village fortifié) des oasis de Tinerkoul et du Taghouzi, essentiellement arabophones, y goûtent avec plai­sir et, à l’occasion, s’associent volontiers au jeu. Tous commu­nient ensemble dans les grandes occasions, comme lors du mawlid (fête de la nativité du prophète), dont la notoriété, désormais mondiale, fait, le temps d’une fête, de Timimoun, capitale du Gourara, une capitale interna­tionale.

Quand le jour a totalement été enveloppé par la nuit, un groupe d’hommes se réunit en plein air et forme un cercle au milieu duquel se trouve un abchniw (poète et chanteur soliste), un bab n tamdja (flûtiste) et un bab n qallal (percussionniste, joueur de tambour). Tous, épaule contre épaule, répètent en chœur, derrière le soliste et son orchestre, ces complaintes faites de suppli­ques ainsi que de quête de pardon et de grâce. A l’âpreté de la jour­née succède alors la douceur de la nuit.

Peut-on parler de poésie à l’égard de ces chants où ni la rime ni la prosodie ne sont respectées ? Pourtant, une grande volupté se dégage non pas du mot en lui-même mais de sa consonance. Ahallil chante l’amour et la mort, Dieu et les hommes, le pur et l’impur. Dans un enchevêtrement sublime, il fait cohabiter sacré et profane. Comme dans toutes les musiques sacrées, la frontière demeure fragile entre Dieu et l’aimé(e). Le plaisir de l’oreille se combine à celui de l’œil dans la perception de ce spectacle chorégraphique dont l’harmonie arrache souvent aux femmes des youyous qui viennent surcharger d’émotion et de volupté une atmosphère d’une densité extrême. Pris par le rythme de sa propre voix, l’abchniw exécute des postures de plus en plus gracieuses. Ses génuflexions, accentuées par la tonalité d’une voix aiguë de plus en plus poignante, provoquent des mouvements d’avant en ar­rière de la partie du cercle à laquelle il s’adresse. Ainsi des tableaux aux multiples motifs s’exécutent au son d’une musi­que ne s’adressant plus au seul canal de l’oreille mais à l’ensem­ble du corps devenu tout ouïe.

L’ahallil raconte aussi. Il relate la petite et la grande histoire : des événements locaux, des épopées amoureuses, des conflits familiaux s’intercalent entre le rappel de préceptes religieux et le récit de batailles mémorables. Tels les chants de griots, auxquels ils s’apparentent beaucoup, ceux de l’ahallil contribuent à fabriquer et à maintenir la mémoire collective du groupe.

Des hommes mais aussi des femmes, dont Dada Aïcha, décédée en 1956, est parmi les plus célèbres, ont transmis à travers les ahallil les espoirs et l’adversité de leur époques. Ils ont chanté leur espérances, leurs inquiétudes, leur foi, leurs amours. Ils ont pleuré leurs morts et dénoncé les injustices.

Chanter l’ahallil

Un ahallil comporte en général trois parties :

  • Un prélude, où le son d’une flûte, comme parvenant de très loin, distille quelques notes plaintives. Le temps de trouver l’accord, et l’ahallil à proprement parler est entamé.
  • Le second moment, l’abchniw lance d’une voix aiguë et puissante le premier vers tout en tapant des mains. Le ton est donné, le chœur reprend ce vers qui servira de refrain pendant la durée de l’ahallil. Désormais, plus de vide ni de silence, l’abchniw et le chœur se reprennent, jouant sur un ton aigu et grave qui laisse peu de place au silence, les mains et le qallal assurant le rythme en arrière fond. La séquence continue ainsi jus­qu’au moment où l’abchniw se joint au chœur pour chanter la dernière strophe. C’est le signe du début de la fin.
  • Ce troisième moment est ce­lui du finale. Une partie du chœur répète en basse obstinée une formule soutenue par l’autre partie du chœur qui répète inlas­sablement une expression plus brève faite d’un ou de deux mots (llah ya llah; ahya ahya). L’abchniw qui, en sourdine, continue à chanter différemment du groupe, élève soudain la voix dans un cri aigu en même temps qu’il frappe des mains un coup assez fort. Tout le monde s’arrête net. Un ahallil est terminé, un autre peut être entamé après un instant de repos.

Chanter le tagarrâbt

Le tagarrâbt, qui n’est qu’une variante de l’ahallil, s’exécute en posture assise et dans un espace clos. Cette « musique de chambre » est une réjouissance inti­miste à caractère souvent familial. On y retrouve la même partition ternaire.

Ici cependant, la présence de la femme est cardinale. Il lui revient même souvent de conduire la séance en prenant la place de l’abchniw. Le flûtiste est remplacé par un joueur de gumbrî (petit instrument à deux cordes), et un joueur de pierres (une pierre plate frappée par deux cailloux) s’ajoute à l’orchestre.

Les paroles chantées lors du tagarrâbt reprennent largement le répertoire de l’ahallil, mais en mettant plus l’accent sur le carac­tère profane des poèmes. C’est l’occasion de puiser abondam­ment dans le ttra, ce répertoire de chants d’amour.

Dans l’ahallil comme dans le ta­garrâbt, la voix aiguë du soliste, contrastant avec le ton grave du chœur, déchire le silence de la nuit et monte vers un ciel de plus en plus sombre. On commence par chanter les suppliques et invoquer Dieu, le Prophète et les hommes morts en odeur de sainteté. Parmi ces derniers, on retrouve en général les saints du panthéon musulman, mais sur­tout des saints locaux : Sidi Moussa de Tasfaout, Sid Al Hadj Belqâcem , Sidi Brahim de Ouajda, Sidi Omar d’Igosten…

Cette par­tie, qui dure un tiers de la nuit, s’appelle lamsarrah (l’aplani), car le sens des mots chantés est clair. Ni sens ésotérique, ni illusions coquines, les chants s’adressent à Dieu dans un langage humble et simple.

Une deuxième partie, dénommée l’awgrût (du nom d’une oasis de la région), couvre le second tiers de la nuit. On y rappelle au bon souvenir les épopées d’antan. Le caractère sacré des chants est déjà moins perceptible, pour devenir carrément profane lors du dernier tiers, qui dure jusqu’au petit ma­tin et qui s’appelle ttra. C’est cette partie que recherchent les connaisseurs, car l’abchniw est en parfaite harmonie avec le chœur dans lequel on ne compte plus que ceux qui jouissent d’un souf­fle à la mesure de la puissance qu’exige pareil concert. Cette par­tie est recherchée également parce qu’elle chante l’amour et l’adversité.

Les instruments

Le premier instrument est la voix (ahku). Toute la beauté de l’ahallil réside dans la force et l’esthétique de la voix de son abchniw et de l’harmonie de celles de ses choristes (lqûm itettfen/le groupe de la réplique). C’est au beurre, au piment et la noix de muscade que l’abchniw traite sa voix. Le jour des grandes fêtes, les chanteurs ont recours à un mélange de sucre, de fèves, de klila (fromage de chèvre séché), de poivre noir et de quelques autres épices.

Dans la partie chantée debout, l’ahallil n-abad, il y a également la flûte (tamdja) percée de cinq trous sur sa face supérieure et d’un sixième sur sa face inférieure, où s’applique le pouce. Le troisième trou de la flûte (takhbût) s’appelle natter de ttra, ce troi­sième temps de l’ahallil consacré au chant profane. Le quatrième trou s’appelle awgrût, du nom d’une oasis de la région. Au cinquième, on donne le nom d’ahiha et le sixième, celui de la face inférieure, s’appelle tanibût.

La déno­mination des moindres parties de cet instrument indique bien son importance. 

Dans le second genre, le tagarrâbt, c’est-à-dire l’ahallil chanté assis, la flûte est remplacée par le gumbri : un instrument à deux cordes, fabriqué locale­ment à partir d’une calebasse évidée sur laquelle on a tendu une peau de lapin.

Le qallal est une sorte de derbouka : un tambour en terre cuite, mesurant entre 50 et 70 cm de long, ceinturé au milieu, aux extrémités évasées d’un diamètre inégal. La plus large des extrémités, mesurant entre 30 et 50 cm, est recouverte d’une membrane en peau de chèvre ou de dromadaire. L’autre qui mesure entre 10 et 20 cm de diamètre reste ouverte. Le joueur accroche le qallal au niveau de la ceinture par des lanières qu’il croise autour des épaules.

Les pierres : une simple pierre plate est posée à même la terre et frappée par deux cailloux que tient un joueur, un dans chaque main.

Les mains jouent également un grand rôle : tout au long de la séance, on ne cesse de les frapper l’une contre l’autre, en fonction du changement de rythmes.

Abderrahmane Moussaoui


Détails des enregistrements

Première partie : 1 à 5 – Ahallil – 38’41
1- Bismillâhi arrahmân arrahîmi
Bismillâhi wa billâhi
arrahmân arrahîmi a lâ ilâhi.

Au nom de Dieu, le Clément le Miséricordieux
Au nom de Dieu et par Dieu
Le Clément, le Miséricordieux
Il n’y a de Dieu…

2- Bismillâhi abdît
Mûlâna bghît ngharrad
Ya tkallam ya fummî
Ya sam’î ya wadhniyya
Ya shûfî ya ‘aynî.
U yatmashshaw rajjliyya
Salât ‘alîk ya Muhammad al-Hâdî.

Au nom de Dieu j’ai commencé
Notre Seigneur je veux gazouiller
O parle ô ma bouche
O écoute ô mon oreille
O regarde ô mon œil
Et marcheront mes pieds
Prière sur toi O Muhammad le Guide.

3- Ya rsûl ya sîdî
Ya mûlây Muhammad
Ya lâ ilâha illâhi.

O Messager, ô mon Seigneur
Ô seigneur Muhammad
Ô il n’y a de Dieu que Dieu.

4- Bismillah al fattâh
Ya huwwa razzâq al mûmnîn.

Au nom de Dieu maître de l’issue
Ô c’est lui le pourvoyeur des croyants.

5- Wash wrâhû as sâhyîn
Wash wrâhû
Illa Allah alâ ilâhû.

Qu’y atil après, Ô assoupi ?
Qu’y atil après ?
Seul Dieu, pas d’autre dieu.

Deuxième partie : 6 à 9 – Tagarrâbt – 27’31

6- Anâ bghît nqûl bismillah
wa na bghît nqûl taghfar danbî ya l’’âlî.

Moi je veux dire « Au nom de Dieu ».
Et moi je veux dire : « Pardonne ma faute, ô Transcendant.

7- Imma hâmu
Ya Mâmmahû
bismillah bdît slat nbî Muhammad lakhyâr.

Mère Hâmû
Ô Mâmmahû
Au nom de Dieu j’ai commencé la prière du prophète Muhammad, le Meilleur.

8- Bismillâh bdît
allâ humma sallî wa sallam ‘âla
habîbunâ Muhammad.
Yâ salla ‘alîk
Yâ zîn la’mâma.

Au nom de Dieu j’ai commencé
Dieu bénis et salue
Notre bien-aimé Muhammad
Prière sur toi
Porteur du beau turban.

9- Bismillâhi arrahmâni
Yâ bghît ‘alâ allâh ndjîb klâmî
Yâ wâhad allâh, wâhad rabbî.
Au nom de Dieu le clément

Ô je veux pour Dieu dire mes paroles
Ô l’Un, Allah, l’Unique, mon Dieu.


  • Référence : 321.034
  • Ean : 794 881 498 024
  • Artiste principal : Ahallil de Gourara (أهاليل قورارة)
  • Année d’enregistrement : 1994
  • Année de fixation : 2000
  • Genre : Ahallil
  • Pays d’origine : Algérie
  • Ville d’enregistrement : Paris
  • Langue principale : Arabe
  • Compositeurs : Musique traditionnelle
  • Lyricists : Musique traditionnelle
  • Copyright : Institut du Monde Arabe