El Achab est de ceux qui ont réussi, après un travail à la fois appliqué et acharné, à planter leur rose dans le jardin enivrant du chaabi et à imposer leur nom. Il suffit d’évoquer son seul prénom à un amoureux du genre pour qu’il se mette à vous fredonner un de ses airs. A cet art, auquel il a apporté la marque de sa voix chaude et généreuse et son doigté magistral dans l’exécution instrumentale, ici le mandole, instrument-roi du chaabi, il aurait presque donné sa vie. En tout cas, il lui a consacré — et continue de le faire — toute une grande partie de son existence.
Comme ce fut le cas pour son maître El Anka, il a commencé d’abord par s’initier à la derbouka, la percussion, indispensable dans tout orchestre chaabi, qui permet d’apprendre à suivre et à maintenir le rythme et la cadence (mizân). Les cours se déroulaient dans ce qui était nommé le conservatoire du Vieil-Alger aux locaux vétustes (une cave aménagée) et aux moyens dérisoires. Guidé par sa seule passion, El Achab assimile vite les leçons et, dès l’âge de 14 ans, il joue du mandole en virtuose.
Né en juillet 1932, de parents modestes installés dans la casbah d’Alger, Amar a fait ses premières armes comme percussionniste dans une formation dirigée par Cheikh Mouloud El Bahri et Moh Kanoun, deux piliers des fêtes de mariages et de circoncisions souvent sollicités par des grandes familles de la région algéroise. Après cette expérience fructueuse et nourrissante (il touche là ses premiers cachets), El Achab fonde son propre groupe et ne tarde pas à attirer l’attention des vrais amateurs de chaabi, en général des dockers, des commerçants et des coiffeurs qui se retrouvent dans des cafés concerts. En 1953, il est signé par la prestigieuse maison Dounia, dont le patron n’est autre qu’El Kahlaoui Tounsi, une des figures emblématiques de la chanson judéo-arabe. Le premier titre qu’il enregistre s’intitule Bellah ana berkani (Par Dieu, j’en ai assez) et il en est l’auteur-compositeur. Le succès est immédiat mais il a fallu attendre trois ans pour qu’Amar El Achab connaisse la gloire et les honneurs avec Ya Bellaredj (Le cigogneau). La chanson, qui a été reprise par Fadéla Dziria, René Pérez et Enrico Macias, est également sujette à polémique en raison de ses allusions érotiques :
“ Cigogneau de grande envergure
Habitant au deuxième étage
Ne va pas paître dans le jardin
De la belle aux lourds colliers. ”
D’autres airs populaires Ya l’Goumri, Mal H’bibi, El Aadra ou Ya El Bahdja, écrits par Amar ou par les talentueux Mustapha Toumi et Mahboub Bati, suivent et suscitent le même engouement et le même enthousiasme populaires. Les officiels, eux, ne l’entendent pas de la même oreille. Le chaabi, auquel on préfère l’arabo-andalou ou l’oriental, est peu diffusé à la radio et à la télévision. Déçu par ce mépris, El Achab quitte l’Algérie en 1976 pour s’installer à Paris où le chanteur au physique de jeune premier se produit dans des fêtes communautaires et quelques festivals tout en continuant à enregistrer des disques. A son actif, il compte une cinquantaine d’enregistrements sous forme de 45 tours et de cassettes. Celui que nous vous proposons — son premier sur disque compact en fait — propose le meilleur de ses compositions capturées lors de deux concerts à l’auditorium de l’Institut du monde arabe.
Chaque été, Amar El Achab retourne au pays pour animer les saisons de mariages. Il ne sait pas résister à l’appel du sol natal tant, pour lui, la nostalgie reste toujours ce qu’elle était.
Djamel Lounis et Rabah Mezouane
Album disponible : Le chaabi des grands maîtres