
Rayssa Fatima Tabaamrant
En berbère, le terme de rways désigne les chanteurs itinérants chleuhs mais aussi la tradition musicale berbère, typique au Sud marocain, qu’ils perpétuent.
Accompagnés d’une vièle monocorde, rribab, de luths et de percussions, les rways vont de ville en ville, dansant et chantant l’amarg, une poésie orale ancrée dans le quotidien qui dit la vie, la mort, la nature, l’amour, mais aussi la politique ou les maux de la société.
Fatima Tabaamrant est la première femme à avoir fondé sa propre troupe de rways. Cet enregistrement illustre son engagement dans la perpétuation de cette « écriture orale » qu’est la poésie berbère.
Tracklist
1– Instrumental – 5’22
2– Sllam/Salutations – 15’26
3- Tirra n yils/L’écriture orale – 4’44
4- Ajddig llwrd/Hymne à la nature/Hymn to nature – 6’40
5- Â bu nniyt/Ô le crédule – 9’44
6- Ait l’caql/Le bon sens – 8’37
7- Instrumental d’adieu – 3’03
Interprètes et instruments
Rayssa Fatima Tabaamrant (direction et chant)
Omar Azemz (rabâb)
Bousselam Ouqia (luth)
Ahmed El Ouad (tallunt)
Mohamed Akchour (tam-tam)
Mohamed Anjjar (tam-tam)
Hassan Ajrrar (naqus)
Ijja Khindouf (danse et choeurs)
Aïcha Bouhmama (danse et choeurs)
Kelthoum Lachguer (danse et choeurs)
A propos
Le genre musical des rways
En langue berbère, le terme rways [1] (mot d’origine arabe qui signifie au singulier, rays : chef, maître) désigne tout à la fois les chanteurs itinérants chleuhs et la tradition musicale spécifique qu’ils perpétuent, un genre typique du Sud marocain qui a cours dans le Haut et l’Anti-Atlas.
L’histoire de ce genre musical a fait l’objet d’une étude d’Alexis Chottin publiée dans les années 1930, mais nombre de lacunes restent à combler. D’aucuns se plaisent à rapprocher les rways des troubadours ou des trouvères du Moyen-Âge européen. Cependant, il nous semble qu’ils sont plutôt à mettre en rapport avec les griots africains. Rways et griots sont en effet l’un comme l’autre les gardiens de la tradition orale, se déplacent en groupe et, surtout, véhiculent dans leurs poèmes une même parole sensée, sage et visionnaire jouant un rôle identique au sein de la société.
Les enregistrements réalisés par les maisons de disques européennes dans les années 1930 nous ont légué un ensemble de disques de rways, contribuant ainsi à l’évolution de ce genre, ne serait-ce que par la perpétuation d’interprétations de rways aujourd’hui disparus comme Lhaj Belâid, Bubakr Anshshad ou Bubakr Azairi. Avec l’indépendance et l’essor des moyens de communication, la radio marocaine a pris le relais pour renforcer leur médiatisation.
En tant que genre musical, la tradition des rways constitue un art de spectacle et d’animation par excellence. Leurs interprètes se produisent en effet aussi bien sur les hlaqi, les places publiques des centres urbains (comme la célèbre place Jamâ El-Fna de Marrakech), que lors de tournées dans les tribus et les villes ou encore chez les particuliers, où ils animent des soirées privées pour toutes les occasions sociales (mariages, par exemple). On les retrouve également dans les hôtels, les bars ainsi que les festivals nationaux et internationaux où ils sont parfois malheureusement exhibés sur un mode folkloriste qui nuit à l’authenticité et à la noblesse de leur art comme expression et sagesse populaire vivante.
Les chants des rways constituent une source précieuse d’informations sur l’évolution de la société marocaine. Ils traitent dans leurs poèmes chantés de sujets divers, et aussi bien des événements nationaux qu’internationaux. Il s’agit en réalité d’un miroir reflétant les préoccupations voire les craintes de la population, et ses prises de position face aux transformations qui touchent la société et l’ordre moral.
Il convient de distinguer deux versants dans cette tradition musicale, l’art des rways à proprement parlé et un autre genre appelé ahwash. Les rways, poètes-chanteurs, trouvent dans ce dernier registre leur source d’inspiration aussi bien au niveau musical qu’au niveau des paroles. Il est d’ailleurs leur « lieu » de formation avant qu’ils ne se professionnalisent. Il convient néanmoins de mettre l’accent sur un certain nombre de dissemblances entre ces deux déclinaisons de la musique berbère.
Si l’ahwash peut être qualifié de danse collective, villageoise et rurale, l’art des rways est plutôt un phénomène itinérant ou de centres urbains. Ce dernier se caractérise par ailleurs par le fait que les artistes qui l’incarnent vivent de leur art, contrairement à l’ahwash, qui est inscrit dans la vie sociale du groupe et dont les « artistes » exercent d’autres métiers pour vivre, sans jamais monnayer leurs chants ni leurs danses. Enfin, chez les rways, on vante les plaisirs ou l’amour individuel et on chante la vie ; dans l’ahwash, l’accent est plutôt mis sur les principes moraux et les préoccupations de la communauté, avec une grande retenue dans le geste et la parole.
Le monde des rways se présente comme un milieu quasi clos, à la limite d’une caste, avec ses traditions, ses règles et son propre code que le jeune se doit d’assimiler progressivement. Il commence par vivre auprès d’un rays et doit faire preuve de son dévouement et de sa vocation à intégrer le groupe, soit en jouant d’un instrument, soit en chantant ou en dansant. Cet apprentissage repose sur un mode de vie communautaire, le jeune accompagnant la troupe dans ses prestations et recevant une formation pratique, le tout mâtiné d’une certaine croyance mystique en une prédestinée.
Cette communauté artistique, si l’on peut dire, s’organise autour d’un chef, le rays. Ce dernier exerce une autorité non seulement symbolique mais aussi effective sur les membres du groupe. Souvent, c’est à lui qu’incombent les décisions concernant la troupe ; c’est lui qui la constitue. Il a le pouvoir d’y admettre ou d’en exclure les membres selon ses prédilections. La troupe est ainsi fondée sur un modèle hiérarchique strict où chacun à sa place. Pour ne donner qu’un exemple, le joueur de vièle y est mieux considéré que celui de naqus (instrument à percussion), même si tous deux sont indispensables.
Musique et instruments
Les rways utilisent le terme rrih (pluriel laryah) pour désigner les mélodies et les modes dans lesquels ils interprètent celles-ci. Ils en distinguent trois types : ashlhiy (le chleuh), agnaw (le bègue) et amakkl (le boiteux). Ces modes « sont basés sur des échelles pentatoniques anhémitoniques [comprenant cinq sons sans demi-tons] pour la plupart, et se développent avec de nombreux sauts de quartes et de quintes en couvrant jusqu’à une octave et demie. La construction des phrases mélodiques (dont chacune correspond à un vers) est également formée de deux ou quatre fragments mélodiques parallèles », (Philip Schuyler, « Berber Professional Musicians in Performance », cité par Miriam Rovsing Olsen dans Chants et danses de l’Atlas (Maroc), Cité de la musique/Actes Sud, 1997, p. 120.). C’est un genre musical qui rappelle par son mode pentatonique la musique de Java et de Bali.
En berbère, l’allégresse procurée par l’écoute de la musique est généralement appelée lhawa, l’équivalent du tarab arabe.
Concernant les instruments de musique, soulignons tout d’abord une distinction entre ahwash et rways : chez les premiers, on utilise exclusivement des percussions, à savoir tambourins et tambours (tilluna et ganga) pour accompagner les développements des chants et de la danse, alors que l’on trouve plutôt, chez les seconds, des instruments à cordes permettant l’interprétation de mélodies.
L’instrument symbole des rways est la vièle monocorde rribab ; c’est d’ailleurs celui qui en joue qui indique les différents moments de l’évolution des morceaux joués et c’est sur lui que s’accordent le chanteur ainsi que tous les instrumentistes et le reste du groupe. Le rribab constituerait une forme évoluée de l’inzad des Touaregs. A noter que, chez les rways, ce sont les hommes qui en jouent, alors que le rribab est chez les Touaregs un instrument féminin.
Cet instrument, souvent fabriqué en bois de noyer, se joue avec un archet. Le crin de l’archet et la corde de l’instrument sont faits de crinière de cheval, et la table d’harmonie, de forme arrondie, est en peau de chèvre. La sonorité aigre-douce de l’instrument, rappelant celle d’un instrument à vent, est due au grésillement que produit le filet de petites perles (tifilit) dont est munie cette table.
Généralement, le rribab est accompagné de deux luths, également spécifiques de la musique chleuh des rways. Le premier est connu sous le terme de lutar ; le second, plus petit et à la sonorité très aiguë, est appelé taswisit. Ce dernier tend malheureusement à être de moins en moins utilisé car remplacé par un banjo.
Le naqus sert à marquer le rythme. Il s’agit d’un instrument insolite, puisqu’il consiste en une simple jante de roue de voiture frappée avec deux baguettes de fer. La jante remplace probablement un ancien accessoire peu adapté aux représentations sur les places publiques, qui nécessitent la production de sons assourdissants pour attirer l’attention du public. Les danseuses utilisent des petites cymbalettes digitales, nwiqsat, pour rythmer leurs mouvements.
Les rways font en outre usage de nouveaux instruments, comme le « tam-tam » (deux petits tambourins liés entre eux), dont l’usage récent est lié aux succès des groupes de musique inspirés de Nass El-Ghiwan, le groupe marocain de jeunes musiciens chanteurs contestataires des années soixante-dix.
Lors de l’exécution de leurs chants, les rways respectent le plus souvent, grosso modo, trois étapes :
1. Astara :(littéralement : promenade ou balade), prélude musical non mesuré ni accompagné de percussion. Il sert tout à la fois à accorder les instruments et à annoncer la mélodie sur laquelle va se développer le chant.
2. Amarg : le morceau instrumental est suivi par le chant du rays, entrecoupé par un refrain répété par le chœur après deux ou trois distiques.
3. Tamssust : mélodie finale. C’est alors que culmine le côté dansant du spectacle, avec les ladhrub (sing. dhrb), différentes mélodies accompagnant la danse. La mélodie tamssust est interprétée sur un rythme léger et rapide, qui en s’accélérant marque la fin de la chanson. Les danseuses et les danseurs exécutent différentes figures chorégraphiques.
Détails des enregistrements
1- Instrumental – 5’22
Musique de Fatima Tabaamrant
Prélude musical
2- Sslam/Salutations – 15’26
Paroles, musique et chant de Fatima Tabaamrant
Invocation de dieu et des saints et salutations de bienvenue au public
3- Tirra n yils/L’écriture orale – 4’44
Paroles, musique et chant de Fatima Tabaamrant
Chant traditionnel présentant l’art oral des rways
« shuwr a wddi, ad ur tgim lghsim i lhmm nk;
ashku zzaman ad, ira annit gis ifhm yan (refrain)
inna hnna, gigh lmayyit yusi udar nns;
urta nlli gh lmisan, urta ggwizgh akal
wahli ma kkullu gitngh ijran, nssbr nit ; »
« Prudence, n’ajoute pas duperie à tes soucis ;
En ces temps, mieux vaut être averti !
Malheur à moi, je suis une morte debout sur ses pieds
Avant même d’être sous terre ou sur la civière.
Affligée par tant de malheurs, mais patiente ! »
4- Ajddig llwrd/Hymne à la nature – 6’40
Paroles, musique et chant de Fatima Tabaamrant
Chant traditionnel clamant la beauté de la nature
« ad ur tallat, ad ur tallat!
a yajjig llwrd, illan gh isaffn
kada n iaashaqn ad ak issutln! (refrain)
ayajddig Ilwrd, illan gh isaffin
ur yi gik iqadda ya usmmaql
iġ ur ufigh akk id nkkis s ifassn
aggiwn ssfugh Ighrd inu s titt inw«
« Ne pleure pas, ne pleure pas !
Ô rose des vallées ;
Tu es entourée de tes admirateurs.
Ô rose des vallées ;
Me satisfaire de ta vue ne me convient guère
II faut que je te cueille avec mes doigts ;
Ainsi, je peux assouvir le désir de mes yeux. »
5- A bu nniyt/ Ô le crédule – 9’44
Paroles, musique et chant de Fatima Tabaamrant
6- Ait lcaql/Le bon sens – 8’37
Paroles, musique et chant de Fatima Tabaamrant
Chant sur la moralité de la vie
« imrbba a lhawa akkm isak tamanw
a ggim afagh abrid Ilangh iliqn
imma amarg ad n lhubb issrmiyangh
idda nit ikkis lhimma, i ishlhyn
a wad izzlumn tizlfin f lkhatr;
ur awn kissnt laz, ur rad kmmlnt«
« Dieu fasse que les mélodies soient à ma portée,
Ainsi saisirai-je celles qui me conviennent.
Les chants d’amour commencent à nous lasser.
Ils finiront par ôter sa dignité à la chanson berbère !
Ô toi qui te plais dans les plaisirs éphémères !
Tu ne seras jamais repu et cela est sans limites ! »
7- Instrumental d’adieu – 3’03
Musique de Fatima Tabaamrant
[1] Dans le Rif et Moyen-Atlas, on parle de imdyazn (sing. amdyaz) au lieu des rways.
- Référence : 321.044
- Ean : 794 881 761 227
- Artiste principal : Rayssa Fatima Tabaamrant
- Année d’enregistrement : 2006
- Année de fixation : 2006
- Genre : Rways
- Pays d’origine : Maroc
- Ville d’enregistrement : Paris
- Langue principale : Chleuh
- Compositeurs : Rayssa Fatima Tabaamrant
- Lyricists : Rayssa Fatima Tabaamrant ; Musique traditionnelle
- Copyright : Institut du Monde Arabe
Disponible en CD : Acheter ici