Musique Andalouse de Fès

Musique Andalouse de Fès

Abdelkrim Raïs

Pendant soixante-quinze ans, Hadj Abdelkrim Raïs a incarné le meilleur de la musique andalouse marocaine à travers son célèbre orchestre, dénommé al-Brihi en hommage à son maître. Auteur de plusieurs recueils et Directeur du conservatoire de musique de Fès, l’une des écoles les plus prestigieuses du Maroc, Raïs, jusqu’à son dernier souffle, conduisait d’une main preste sa formation. Le 27 août 1996, il range définitivement son instrument fétiche, le rbab, non sans nous avoir laissé en héritage quelques-unes des onze noubas que nous retrouvons dans cet enregistrement réalisé lors d’un de ses rares concerts parisiens.


Tracklist

Part 1
1 – Les sept tawachi de la nouba Hijaz al-Machriqi – 20’06
2 – Basit Raml- al-Maya – 33’24
3 – Mawwal de Abderrahim Souiri Quddam Raml- al Maya – 19’20

Part 2
1
– Btayhi al-Rasd Inchad abderrahim Souiri et Abdelfettah Bennis Quddam Btayhi al-Rasd – 43’13
2 – Insiraf Basit al-Istihlal – 11’41
3 – Insiraf Btayhi al ‘Uchchaq – 17’41


Interprètes et instruments

Hadj Abdelkrim Raïs (rabâb, direction)
Mohamed Briouel (violon)
Mohamed Arabi Gharnati (violon)
Idriss Bennis (alto)
Thami Semlali (alto)
M’hammed Bouzoubaa (luth)
Mohamed Taei (tar)
Ahmed Laabi (derbouka)
Abderrahim Souiri (chant)


À propos

Vers 1939, une photo prise de l’orchestre al-Brihi ou Lebrihi de Fès représente assis à la droite du maître Mohamed al-Brihi, le jeune Abdelkrim Raïs. Il l’accompagne au luth arabe ‘ud. S’il pressent qu’il lui succèdera (à son décès en 1944), qu’il assumera la continuité, Hadj Abdelkrim Raïs ne peut imaginer le retentissement qu’aura en Occident dès 1977, date de son premier concert à Bâle, l’art andalou-marocain. Il fera de lui l’un de ses plus valeureux représentants.

Abdelkrim Raïs est né vers 1912. Jeune élève, il rejoint le dépositaire de cet art dans la ville de Fès, Mohamed al-Brihi ou Lebrihi qui a reçu lui-même cet enseignement de son père Abdessalam Lebrihi. C’est auprès du premier qu’il parfera son éducation musicale. A partir du moment où Abdelkrim  prend la relève, son orchestre portera le nom de Lebrihi en souvenir du maître. Il s’étoffera pour absorber plus d’une vingtaine d’exécutants, comme cela a été le cas lors de sa première apparition en France en 1984 aux Journées de Musiques Arabes de Nanterre ou au contraire se réduira. Couramment, l’ensemble d’Abdelkrim Raïs ne dépasse pas la douzaine d’individus, comme il en a été lors des concerts donnés à Paris en 1993. Il comprenait pour la circonstance le rbeb (rabab), vielle en forme de barque à deux cordes, deux violons, deux altos, deux luths arabes, et une double percussion : tar, tambour sur cadre avec cymbalettes et darbouka, tambour à une membrane en forme de calice.

Quoi qu’il en soit, la notoriété du maître devait être déjà grande dans son pays puisqu’en 1969, il participait, en tant qu’expert, au Congrès de la musique arabe de Fès. Il avait été inclus dans la commission des échelles et des rythmes de la musique andalouse-maghrébine. Cette commission va statuer définitivement sur la nature des échelles, comme elle déterminera celle des rythmes en usage dans ce répertoire. Depuis, il est demandé à tous les ensembles du Maroc de se conformer aux résolutions techniques prises par ce congrès.

On lui doit, outre ses activités musicales les plus diverses, et la direction du conservatoire de la musique de Fès, la publication de deux ouvrages. Le premier, publié en 1982, collige sa version des poèmes de al-Ha’ik qui, comme on le sait, a été le premier, au début du XVIIIe à recueillir par écrit onze noubas avec leurs poèmes respectifs, la modalité musicale et les rythmes correspondants. Un second titre allait également voir le jour en 1985. Abdelkrim Raïs, avec l’aide de son élève préféré, Mohamed Briouel, réalisait une transcription en notation occidentale de la nouba gharibat al-husayn. De la même manière qu’on ne peut dissocier le nom de Hadj Abdelkrim Raïs de celui de son maître Lebrihi, on ne peut séparer du premier celui de son disciple préféré Mohamed Briouel. Celui-ci a pris une part de plus en plus prépondérante dans l’activité de l’orchestre à mesure qu’Abdelkrim Raïs avançait en âge. Ce jeune musicien, né en 1954, dans la région de Fès, a étudié dès 1963 la musique avec Abdelkrim Raïs et a fait toute sa carrière dans le giron du maître. En 1986, Briouel obtenait le prix du Maroc pour la publication de l’ouvrage qu’il avait cosigné avec Raïs. En 1991, le Ministère de la Culture Marocain lui confiait le soin de fonder un nouvel ensemble dénommé al-Ala placé sous l’autorité administrative du Ministère. La tradition arabo-andalouse est désormais nommée au Maroc “ andalouse-marocaine ” et ce, depuis la conférence historique donnée en 1962 par l’ancien ministre de la Culture, Mohamed el-Fassi (décédé en 1991). Celui-ci estimait, avec raison, que cet art tel qu’il nous est délivré aujourd’hui, s’il plongeait ses racines dans le pays d’al-Andalus, avait par la suite profité de l’apport de ses interprètes contemporains. Ils n’avaient cessé de l’enrichir en le dotant de pièces et de compositions tant nouvelles que diverses. Par conséquent, il était juste de l’appeler andalou-marocain afin de montrer par là qu’on était loin d’un art figé, que cette tradition était toujours vivante, et qu’elle n’avait jamais cessé de s’alimenter tout en maintenant une éclatante continuité entre passé et présent. Cet art nous est parvenu par le truchement de formations que l’on situe dans quelques villes du Maroc et dont Fès constitue l’un des pôles d’attraction. Cette tradition est surtout dispensée lors des mariages et de plus en plus, elle est jouée en concert sur la scène : la particularité veut que ses interprètes soient à la fois des exécutants et des choristes, voilà pourquoi on l’appelle instrumentale par opposition à sama’ (lire samaa) : musique vocale et religieuse où tout instrument de musique est exclu. Ce qu’on joue dans cet art andalou-marocain porte le nom de nouba, terme dérivé de l’arabe nawba. La nouba est une forme musicale comparable à une suite. Elle s’articule autour de petites unités, une série de poèmes chantés de quelques vers, désignés par le terme de san’a (lire sanaa) ce qui, littéralement, signifie pièce de métier ou encore œuvre d’art. Ces poèmes s’enchaînent directement ou sont séparés par des interludes instrumentaux. Souvent ces derniers peuvent également fractionner l’unité du poème et s’y glisser à l’intérieur. Une ouverture instrumentale précède également le chant. On peut compter approximativement une vingtaine de san’a pour former chaque mouvement de la nouba. Et à son tour, cette dernière se compose de cinq mouvements ayant leurs caractéristiques métriques. Au total, on dénombrerait près d’une centaine de san’a pour une nouba complète. De plus, chacun des vers chantés peut être prolongé par une série de syllabes sans signification que l’on appelle au Maroc taratin (lire taratîne) et dont celles qui reviennent le plus souvent sont ha-na-na ou ya-la-lan. Il faut donc penser, en écoutant la nouba, à une immense symphonie mais avec cette différence de poids : on ne joue jamais tous les mouvements, en raison de leur longueur. Les poèmes chantés sont généralement anonymes, mais d’autres ont leurs auteurs. Anciens certes, ils proviennent dans leur majorité de l’époque d’al-Andalus ou des pays du Machreq. Mais ils ont pu également être rédigés ultérieurement. Ces poèmes tournent en général autour de trois thèmes : l’amour, la nature et la boisson. Tout se passe comme si la nature avec ses jardins florissants, ses instruments de musique, et le chant des oiseaux offrait un incomparable tapis à l’épanchement et l’apparition des amants qui ne sont jamais désignés par un patronyme quelconque. Ceux-ci sont le plus souvent attendus et l’on dépeint les qualités de l’amant dont l’attente, qui provoque la douleur, se trouve soulagée par l’échanson. Autre thème d’une importance capitale : la  nuit. Elle favorise l’attente.

De tous les poèmes qui constituent cette thématique très riche en broderies, très imagée, et qui revient comme un leitmotiv tout au long du discours musical, la première nouba, celle basée sur le mode raml al-maya, s’en différencie. On le sait aujourd’hui, ces poèmes ont été revus au XVIIIe siècle par la volonté d’al-Ha’ik qui, probablement, voulait se concilier les docteurs de l’Islam. La première nouba, et uniquement celle-ci, possède donc un contenu religieux. Il s’agit avant toute chose d’hymnes de louanges au Prophète Mohamed. De larges extraits de cette nouba sont placés sur la deuxième plage du premier compact.

Un concert andalou-marocain consiste à présenter des extraits des onze noubas. Bien que al-Ha’ik ait recueilli les poèmes, leur mesure rythmique, la tradition andalouse-marocaine est une tradition orale, c’est-à-dire que les mélodies se sont transmises au sein d’orchestres qui, autrefois anonymes et perdus dans le temps, deviennent aujourd’hui des conservatoires vivants. De plus, cette musique n’est pas improvisée, mais apprise, répétée. Néanmoins, des improvisations de solistes s’intercalent au chœur afin qu’il puisse se reposer.

Malgré son âge et conscient du message qu’il délivre, Hadj Abdelkrim Raïs conduit d’une main preste son ensemble. On peut l’entendre aisément au sein de sa formation. C’est lui qui lance les incipit des poèmes qu’il accompagne du ronronnement du rbeb (rabab), instrument emblématique de la musique marocaine-andalouse. Non seulement aujourd’hui cette musique devient universelle, mais elle apparaît comme une série de passerelles qui, jetées entre le sud et le nord, concernent tout à la fois l’un ou l’autre des continents.

Christian Poché


Détails des enregistrements

Part 1

N° 1 – Les sept tawachi de la nouba hijaz al-machriqi (durée 20’06 »).

Il s’agit ici d’une introduction instrumentale enchaînant des temps libres, improvisés, dont certains entonnés par la voix du soliste, avec des syllabes sans signification, à d’autres mesurés. L’introduction instrumentale mesurée dans la musique andalouse-marocaine porte le nom de tuchia (lire touchia). Elle a pour but de faire connaître à l’auditoire le mode dans lequel va se dérouler la  nouba. Exceptionnellement, la nouba du mode hijaz al-machriqi (mode de ré avec fa dièze) comprend sept tawachi (pluriel de tuchia) qui se succèdent.

N° 2 et 3 – Basit raml al-maya, suivi d’un mawwal chanté par Abderrahim Souiri, et conclusion sur quddam raml al-maya (durée 52’44 »).

Il s’agit d’extraits importants de la première nouba dont le contenu est essentiellement religieux. C’est une hymne au Prophète Mohamed. Basit signifie le premier mouvement de la nouba avec son rythme à 6/4 exécuté sur le mode raml al-maya (mode de ré). Un mawwal, poème improvisé au chant, vient s’intercaler sous forme d’incise. Ce poème sort de la modalité andalouse puisqu’il fait appel au bayyati mode connu pour contenir un trois quart de ton. L’extrait se termine par le cinquième mouvement (quddam, lire koddam) de cette même nouba qui développe une mesure à 3 temps s’accélérant en 6/8.

Part 2

N° 1 – Btayhi al-rasd, inchad, quddam (durée 43’13 »).

La modalité de rasd (mode de mi) constitue la sixième nouba tel que l’a fixée al-Ha’ik. L’orchestre d’Abdelkrim Raïs donne à entendre le troisième mouvement appelé btayhi (ou batayhi) de cette nouba. Le btayhi s’articule sur une mesure à 8 temps. Le texte insiste sur les qualités morales que doit posséder tout amant. Une improvisation (inchad, lire inchaad) alternée par les deux solistes du groupe, Abderrahim Souiri et Abdelfettah Bennis suit. Le morceau se termine par le cinquième mouvement (quddam) de cette sixième nouba.

N° 2 – Insiraf basit al-istihlal (durée 11’41 »).

L’insiraf, qui signifie la sortie, est la fin du premier mouvement (basit) de la  nouba dans le mode istihlal (mode de do) classée en cinquième position dans l’ordre désigné par al-Ha’ik. C’est donc sur un tempo animé que se déroule cette interprétation.

N° 3 – Insiraf btayhi al-‘uchchaq (durée 17’32 »).

C’est également le final du troisième mouvement de la nouba dans le mode al-‘uchchaq (lire ochaak) (mode de sol) qui est la onzième et dernière nouba selon la classification d’al-Ha’ik. Ici le poème évoque le lever du soleil.


  • Référence : 321.002.003
  • Ean : 794 881 472 529
  • Artiste principal : Abdelkrim Raïs (عبد الكريم رايس)
  • Année d’enregistrement : 1993
  • Année de fixation : 1999
  • Genre : Nouba arabo-andalouse
  • Pays d’origine : Maroc
  • Ville d’enregistrement : Paris
  • Langue principale : Arabe
  • Compositeurs : Musique traditionnelle
  • Lyricists : Musique traditionnelle
  • Copyright : Institut du Monde Arabe