
Al-Djazaïriya al-Mossiliya
L’association al-Djazaïriya al-Mossiliya naît en 1951 de la fusion de deux associations créées dans les années trente. Sous la conduite de son président feu Sid Ali Ben Merabet et du chef d’orchestre Sid Ahmed Serri, l’un des plus grands maîtres de l’école d’Alger de musique arabo-andalouse, des résultats remarquables ont été atteints, tant en matière de sauvegarde et de valorisation de ce patrimoine, que sur le plan de la formation.
Aujourd’hui, l’association al-Djazaïriya al-Mossiliya animée par le mandoliniste virtuose Nacer Eddine Ben Merabet et riche de son passé et du capital de connaissances accumulées, est plus que jamais soucieuse de perpétuer cet héritage dans sa profonde authenticité tout en demeurant attentive aux évolutions nécessaires qu’impose la modernité.
Tracklist
1– Improvisations instrumentales – 10’14
2– Tahiyya bikum kullu arden/Toute terre abordée vous sera accueillante – 6’10
3– Da’û muqlatî tabkî/Versez des larmes mes yeux – 6’26
4– Law kâna al-milâh…/Ô gracieuses dames… – 9’10
5– Lawlâka mâ himtu wajdâ/ Si tu n’existais pas – 3’58
6– Fî ‘ichqatî hâr at-tabîb/La passion qui m‘égare a stupéfié le médecin – 9’39
7– Bittû achkû al-gharâm/Embrasé par la passion – 2’50
8– Yâ tura tura… – Atânî zamânî – Qudûm al-habîb – Mâ kuntû adrî/Puissent revenir les beaux jours – Le destin m’a comblé – La venue de mon bien-aimé – J’étais dans l’ignorance – 11’23
Interprètes et instruments
Nacer Eddine Ben Merabet (direction, violon, mandoline, chœur)
Ali Ben Merabet (rabâb, chœur)
Mohamed Bendiba (rabâb, chœur)
Farid Ben Sarsa (oud, chœur)
Lyes Dahimene (oud, chœur)
Selma Touati (oud, chœur)
Abdelkader Moured (mandole, chœur)
Kheireddine Bestanji (mandoline, chœur)
Mahmoud Hadj Ali (mandoline, chœur)
Souad Ben Sarsa (violon, chœur)
Mohamed Reda Boukoura (violon, chœur)
Omar Mouhoub (violon, chœur)
Abla Rahal (violon, chœur)
Lamia Touati (violon, chœur)
Sabiha Ben Merabet (kouitra, chœur)
Nadia Boutaleb (kouitra, chœur)
Houria Larinouna (kouitra)
Djamila Maalem (kouitra, chœur)
Bedreddine Ghezah (violoncelle, chœur)
Youcef Allali (derbouka, chœur)
Abdelhalim Ikerbouchen (tar, chœur)
À propos
Repères historiques
Les spécialistes s’accordent pour établir que la musique dite « arabo-andalouse » [1] a été élaborée à partir du IXe siècle [2] . C’est en effet en terre ibérique, sous occupation musulmane, que la musique et le chant arabo-andalous ont parfait leurs contours. Plus précisément, c’est sous l’impulsion de l’émir cordouan Omeyyade d’Espagne ‘Abd al-Rahman II (822-852) et d‘Abd al-Rahman III, premier calife d’al-Andalus (912-961), puis sous les règnes successifs des mulûk attawâ’if/rois des divisions territoriales (1012-1141), des Almoravides (1056-1146), des Almohades (1129-1268), enfin des Nasrides de Grenade (1235-1491) que cet art prit son envol et se structura pour, au fil du temps, prendre les formes de ce qui est depuis cinq siècles une esthétique de musique et de chant typique du Grand Maghreb [3].
La civilisation de l’Occident musulman a enrichi le patrimoine universel de réalisations remarquables tant sur le plan architectural que dans le domaine philosophique pour se limiter à ces deux exemples. Témoins de ces splendeurs passées, la grande mosquée de Cordoue, l’Alhambra de Grenade et les œuvres d’Avicenne (Ibn Sina), premier philosophe à avoir introduit un discours rationalisant face à la pensée religieuse monothéiste et traditionaliste. Témoin aussi du raffinement de cette civilisation, c’est-à-dire d’une manière de penser et de vivre que l’on pourrait qualifier d’épicurisme maghrébo-andalou, la musique dite arabo-andalouse s’inscrit dans ce paysage politique où les arts étaient largement cultivés, soutenus financièrement par des rois désireux de donner plus d’éclat à leur cour en s’attachant les services des meilleurs créateurs, poètes, musiciens…
Pour autant, cet art musical plonge ses racines dans d’autres sources, en particulier dans la tradition mésopotamienne où a éclos le muwashshah [4] et dans les terroirs maghrébins et hispaniques. Signalons à ce sujet le dernier ouvrage de l’éminent musicologue Mahmoud Guettat, qui apporte des éclairages convaincants sur l’empreinte du Maghreb dans le processus d’élaboration de cette musique. On peut donc affirmer que la civilisation de l’Occident musulman est bien la matrice dans laquelle cet art musical a pris forme et s’est développé pour aboutir à l’une des plus belles créations universelles que sont ces amples cantates arabo-andalouses, parfaite symbiose de traditions issues de divers horizons magnifiée par la langue arabe littéraire (pour le muwashshah) et l’arabe parlé (pour le zadjel).
La civilisation arabo-musulmane a été marquée de siècles de décadence et les pays du Maghreb ont traversé bien des bouleversements tragiques, notamment depuis la fin du XVe siècle. Pourtant, cette création musicale multiséculaire n’a jamais cessé d’être pratiquée et enrichie par des générations de passionnés et de maîtres, dont tous les noms ne nous sont pas hélas parvenus ; nul ne saurait donc s’imaginer qu’une matière aussi vivante soit restée figée, sans transformation depuis plus de cinq siècles. Pour se faire une idée rapide de la nature de ces transformations, il suffit de comparer les esthétiques mélodiques et vocales qui ressortent des premiers enregistrements de cette musique, à la fin des années 1920, avec ce qui se donne à entendre aujourd’hui à travers les innombrables interprétations d’orchestres et de solistes.
Portée par des petits cercles d’initiés et transmise depuis des siècles par l’oralité, cette tradition musicale connaît un regain d’audience et de vitalité que l’indépendance des pays du Maghreb a considérablement favorisé. Mais le mérite de la sauvegarde et de la transmission de ce fabuleux patrimoine et de chant revient principalement à des hommes et des femmes réunis en associations culturelles et musicales [5], et qui ont souvent tout sacrifié pour que cette tradition demeure un des trésors qui continue à apporter à des millions d’hommes et de femmes un sentiment de pur bonheur.
Le rôle des associations
Alors qu’il appartenait aux nouveaux États indépendants du Maghreb de dégager des ressources pour la sauvegarde de ce patrimoine musical ce qu’ils n’ont fait que parcimonieusement , patrimoine dont il reste encore à explorer l’immense richesse sur les plans littéraire, rythmique…, alors que cette tradition exprime, avec celle du malhûn, de façon fidèle et emblématique une dimension essentielle de l’identité culturelle maghrébine, cette mission a pourtant été davantage assumée par des associations culturelles disposant de moyens matériels et humains limités. Que l’on songe seulement qu’il n’existe quasiment pas en France d’orchestre de musique classique qui ne bénéficie de ressources publiques pour son fonctionnement. Et pourtant, la musique arabo-andalouse construite, à l’instar de la musique classique harmonique selon des règles aussi subtiles que précises à l’intérieur d’un ethos qui souligne sa profondeur et son universalité, appelle à plus de soutiens financiers de la part des gouvernements maghrébins.
Rappeler en outre que cette musique fut, par exemple, à l’origine de l’école des troubadours en Europe par l’introduction à la fin du XIe siècle la poésie d’amour courtois, le fine amor, c’est inviter à revisiter un chapitre de l’histoire culturelle universelle pour un fructueux dialogue des cultures. Enfin, l’enseignement généralisé des valeurs contenues dans cette tradition au travers de ses textes littéraires ne peut que participer à la formation d’esprits éclairés et à une conscience civique que toute société civilisée se doit de cultiver. Il reste que l’œuvre pionnière de sauvegarde et d’enrichissement de ce patrimoine demeure prise en charge par des associations à caractère privé dont les moyens limités ne sont pas à la mesure des enjeux fondamentaux résumés ci-dessus.
L’association al-Djazaïriya al-Mossiliya
L’un des fleurons les plus emblématiques des associations. Créée en 1932 sous le nom symbolique al-Mossiliya : il a été choisi en hommage à une famille légendaire de musiciens irakiens, Ibrahim et Ishaq al-Mawsili, ayant vécu sous l’Empire abbasside (VIIIe-IXe siècles). Les chroniques des historiens arabes rapportent qu’Ishaq al-Mawsili aurait été à l’origine de l’exil forcé de son élève Ziryab qui, avant de s’installer à Cordoue à compter de l’an 822, séjourna dix longues années à Kairouan en Tunisie.
En 1951, al-Mossiliya fusionna avec une autre association, al-Djazaïriya, fondée quant à elle en 1930. De cette fusion naquit l’association al-Djazaïriya al-Mossiliya. Sous la conduite de son président feu Sid Ali Ben Merabet et du chef d’orchestre Sid Ahmed Serri, l’un des plus grands maîtres de l’école d’Alger de musique arabo-andalouse, des résultats remarquables ont été atteints, tant en matière de sauvegarde et de valorisation de ce patrimoine, que sur le plan de la formation (plus de 300 élèves y suivent régulièrement des cours de musique et de chant arabo-andalous) ; de plus, cette association a donné en Algérie et à l’étranger un nombre considérable de représentations, dans le cadre de festivals et de concerts. La musique et le chant arabo-andalous y ont été honorés avec panache grâce au labeur, au sérieux, mais aussi et surtout grâce à la passion de personnalités comme celles que nous venons de citer. Parce que d’autres amoureux et passionnés de cette musique remplissent dans une absolue discrétion, avec abnégation et talent, cette mission de sauvegarde et de transmission de ce patrimoine, il est juste de rendre ici hommage à l’un d’entre eux, Farid Bensarsa qui, avec son équipe de bénévoles, poursuit en France l’œuvre entreprise par les aînés. Aujourd’hui, l’association al-Djazaïriya al-Mossiliya animée par le mandoliniste virtuose Nacer Eddine Ben Merabet et riche de son passé et du capital de connaissances accumulées, est plus que jamais soucieuse de perpétuer cet héritage dans sa profonde authenticité tout en demeurant attentive aux évolutions nécessaires qu’impose la modernité.
Rachid Aous
Détails des enregistrements
A travers cet enregistrement, se laisse entrevoir une dimension de l’épicurisme arabo-andalou qui fut l’une des gloires de la civilisation de l’Occident arabo-berbéro-musulman [6]. Les amateurs du genre musical arabo-andalou, toutes celles et tous ceux qui savent apprécier la maestria d’improvisations instrumentale et vocale, et sont sensibles à une atmosphère de sérénité et de doux enchantements aimeront ce compact-disc à plus d’un titre. L’ensemble al-Djazaïriya al-Mossiliya nous livre dans cet enregistrement une nouba tout en finesse, représentative de l’esthétique globale de musique et de chant arabo-andalous de l’école d’Alger. Les poèmes chantés y sont judicieusement harmonisés ; elle est exécutée dans les modes dhil et mjanba, spécifiques à la tradition musicale arabo-andalouse maghrébine et propices aux rêveries et aux confidences nocturnes. Cette poésie est savoureusement mise en valeur par de sublimes voix solistes amplifiées par des chœur en parfaite symbiose. En particulier, la voix cristalline de Souad Bensarsa dans le btayhi mjanba (plage 4) est un pur ravissement. C’est aussi un morceau d’anthologie, un modèle de l’expression esthétique du style du chant dans cette tradition d’Alger.
1- Improvisations instrumentales – 10’14
Touchia en mode dhil.
2- Tahiyya bikum kullu arden/Toute terre abordée vous sera accueillante – 6’10Chant collectif en mode msaddar dhil.
3- Da’û muqlatî tabkî li faqdi habîbihâ/Versez des larmes mes yeux pour la perte de son bienaimé – 6’26
Istikhbar/improvisation en mode zidân.
Nacer Eddine Ben Merabet nous régale d’un solo de violon et d’un chant de sa voix grave et chaude qu’une intense émotion traverse et où éclate la pleine maîtrise de cet exercice, toujours délicat à exécuter.
4- Law kâna al-milâh…/Ô gracieuses dames – 9’10
Chant en mode dhil et mjanba.
Law kâna al-milâh yunsifû
Wa yahinnû ‘alâ al-‘ashîq bihâlî
Ô gracieuses dames, puissiez-vous rendre justice aux amoureux de mon espèce
Et nous prendre en compassion !
5- Lawlâka mâ himtu wajdâ/ Si tu n’existais pas – 3’58
Chant en mode darj mjanba magistralement chanté par Mahmoud Hadj Ali.
Law lâ ka mâ himtu wajdâ
Wa lâ ta‘achchaqtu najdâ
Si tu n’existais pas, point ne connaîtrais la passion qui m’égare,
Point ne me serais épris à tant souffrir.
6- Fî ‘ichqatî hâr at-tabîb/La passion qui m‘égare a stupéfié le médecin – 9’39
Insirâf en mode dhil.
7- Bittû achkû al-gharâm ‘arâqî/Embrasé par la passion, le sommeil me fuit ; je n’ai cessé de récriminer – 2’50
Insirâf en mode mjanba.
8- Yâ tura tura… – Atânî zamânî – Qudûm al-habîb tamâm as-surûr – Mâ kuntû adrî/Puissent revenir les beaux jours – Le destin m’a comblé – La venue de mon bien-aimé – J’étais dans l’ignorance – 11’23
Série de quatre khlâs/morceaux dansant en clôture de nouba et en mode dhil.
Note
– [1] L’expression « musique arabo-andalouse » est relativement récente, environ un siècle. Les Maghrébins, historiquement et encore aujourd’hui, utilisent les vocables suivants pour désigner cette musique : âla et gharnâtî pour les Marocains, san‘a, gharnâtî et malouf pour les Algériens, malouf pour les Tunisiens et les Libyens.
– [2] Pour mémoire, c’est en 822 que Ziryab arrive à Cordoue.
– [3] Mahmoud Guettat, La Musique arabo-andalouse, l’empreinte du Maghreb, Paris, El-Ouns, 2000.
– [4] Il s’agissait à l’origine d’un style de chant. Voir Les Grands maîtres algériens du cha‘bi et du hawzi, Paris, El-Ouns, 1996, p.496.
– [5] Des confréries religieuses maghrébines ont aussi contribué à la sauvegarde de ce patrimoine musical.
[6] Ce concept de « civilisation arabo-berbéro-musulmane » permet à la fois de désigner les langues vernaculaires (arabe, berbère), véhicules quasi exclusifs des expressions artistiques du Maghreb, et de rendre compte de l’empreinte culturelle idéologique de l’Islam qui domine dans toute cette région.
- Référence : 321.031
- Ean : 794 881 602 827
- Artiste principal : Al-Djazaïriya al-Mossiliya (الجزائرية الموصلية)
- Année d’enregistrement : 1996
- Année de fixation : 2000
- Genre : Musique traditionnelle
- Pays d’origine : Algérie
- Ville d’enregistrement : Paris
- Langue principale : Arabe
- Compositeurs : Association Al-Djazaïriya al-Mossiliya ; Musique traditionnelle
- Lyricists : Association Al-Djazaïriya al-Mossiliya ; Musique traditionnelle
- Copyright : Institut du Monde Arabe