Cheikha Remitti

Cheikha Remitti, féministe à son corps défendant, a chanté à l’aube des années 40-50 la difficulté d’être femme et a introduit, en la détaillant, la notion de plaisir charnel. Mais son champ thématique ne s’arrête pas là. En auteur prodigieusement fécond, elle a exploré toutes les formes de l’amour, célébré l’amitié, tenté d’expliquer les noyades dans l’alcool, déploré l’obligation d’émigrer et tancé les moralistes. Elle a su également nous décrire la vie des nomades et des transhumants. Aucun sujet n’a échappé à la sagacité de la cheikha, y compris les outils modernes (le téléphone et le TGV). Amour, pain et fantaisie, éloge spirituel des spiritueux. Ses chants, pour qui sait décrypter entre les refrains et apprécier son ton mi-gouailleur, mi-véhément, nous apprennent l’attirance de la femme vers la lumière. Par son audace marinée dans l’humour ou le vitriol, Remitti a choqué bien des âmes puritaines. Elle qui avait osé chanter dans les cafés juifs, en pleine guerre de libération, une ode à l’émir Abdelkader, va subir, dès l’indépendance, les foudres de la censure du FLN. Le quotidien El Moudjahid ne cessera, sans la nommer, de s’en prendre à ce “ folklore perverti par le colonialisme ”.

Redécouverte par une nouvelle génération, Remitti, impressionnante sur scène comme ce fut le cas lors de sa prestation à l’lnstitut du monde arabe en février 1994, peut être perçue comme une visionnaire. Ses chansons, martelées depuis près d’un demi-siècle, n’ont jamais été aussi proches de la réalité immédiate de l’histoire de l’Algérie des années 90, années de tous les dangers. Pour les femmes surtout dont elle fut la porte-parole la plus audacieuse et la plus lucide. Celle qu’on surnommait la « Mamie du raï » s’est éteinte le 16 mai 2006 à 83 ans et continue aujourd’hui à être la figure féminine historique majeur de ce style musical.


Album disponible : Aux sources du Raï