Chants de griots

Ensemble El-Moukhadrami

Carrefour des civilisations berbéro-arabes et d’Afrique Noire, la société maure accorde toujours un rôle capital aux griots. Chantant jadis les exploits et épopées des familles nobles, leur présence est indispensable à toute fête réussie. Interprètes et improvisateurs, amuseurs et bouffons, ils sont craints pour la liberté de leurs propos.


Tracklist

1– Prélude instrumental – 1’31
2Madha/Louange – 5’13
3Beyt biedh/Chant blanc – 4’19
4‘Aynî yâna/Moi, mes yeux 4’23
5Beyt harb/Chant de guerriers – 3’28
6Beyt harb/Chant de guerriers – 3’18
7Dezzeyt’m berr/J’ai battu les plus braves – 5’32
8– Chant nostalgique hors-cadence – 1’03
9– Chant sans titre évoquant une séparation douloureuse – 2’24
10Râ’i lmeyl !/ Regardez comme ça penche ! – 5’49
11Umsiku dam‘a ‘aynî/Je retiens mes larmes suivi de Ahdeib zwayn/Qu’elle est belle la dune – 9’57
12– Lalla mmwî/Dame ma mère – 5’22
13El-hawl/La passion de la musique – 7’08
14Ana wanâ/Moi, moi – 6’27
15Madha/Louange 1’59
16Madha/Louange – 4’13


Interprètes et instruments

Bouh Ould Boba Jiddou (chant, luth)
Dah Ould Abba (luth)
Ahmed Ould N’ghdeil (chant, percussions)
Fatma Mint Seyid (chant, harpe)
Tekeiber Mint El Meidah (chant, harpe)


A propos

Parmi les musiques traditionnelles de Mauritanie, celle des iggawen, les « griots occupe une place privilégiée à plus d’un titre. Tout d’abord, c’est une musique professionnelle, et à ce  titre doublement maitrisée, aussi bien dans son langage que dans ses modes de transmission.  Ensuite, c’est une activité artistique à laquelle la société reconnait une valeur pédagogique et qu’elle prend en charge.

En effet, la société maure traditionnelle est organisée comme une instance d’éducation permanente, où chaque groupe social est chargé, selon une hiérarchie stricte et héréditaire, de donner en exemple, par son comportement, les valeurs morales propres à son rang. Cette organisation trouve sa justification conceptuelle dans la représentation de la société comme un corps humain et l’application aux membres du corps social des mêmes préceptes qui s’appliquent aux membres du corps individuel. Dans le cadre de cette conception, les activités de la pensée (parole, ouïe, vue) se répartissent en deux catégories opposées : graves et futiles. A la première catégorie appartiennent la connaissance et la transmission de la vérité révélée et des sciences de la loi, qui sont à la charge des lettrés ou marabouts. A la seconde appartient l’art de la poésie et de la musique, à la charge des griots.

Le griot, enseignant du « mauvais exemple »

Les griots forment le groupe social dont le rôle pédagogique est Chants de griots le plus ambigu et, de ce fait, le plus difficile à tenir. Car, en vertu de cette conception corporelle de la pédagogie morale qui est celle de la société maure, ils ont à leur charge une activité émanant d’une partie noble du corps (la tête), mais c’est une activité que chacun, y compris les intéressés, doit regarder comme trompeuse et amorale. Leur rôle social est, de ce fait, paradoxal : il consiste à enseigner, en le faisant éprouver, ce qui est moralement réprouvé, à savoir les jouissances purement esthétiques et émotionnelles. En effet, te griot assume le rôle de montrer en exemple, pour l’édification du corps social, l’influence corruptrice de l’activité artistique qui est supposée s’exercer sur le comportement individuel, Autrement dit, il a la responsabilité morale de montrer l’irresponsabilité et d’en assumer les reproches. Le griot est un artiste et, à ce titre, il est censé exalter par son art les vanités de l’âme humaine. On attend de sa création et de son comportement qu’ils soient synonymes de complaisance, de légèreté, d’inclination à la facilité, à l’amour des plaisirs immédiats, d’ignorance des valeurs d’honneur, de retenue, de modestie et également synonymes d’insouciance. II est ainsi socialement autorisé à céder aux leurres de la vie pour le compte de la société tout entière, et c’est ce qui lui donne la capacité d’assumer son rôle et de supporter la réprobation, dont il est le premier à admettre la légitimité, Il en a les plaisirs, mais il en paye le prix, par la précarité et la dépendance obligée vis-à-vis des groupes sociaux qui ont pour rôle de l’entretenir par des « dons ». Car son art, conçu comme une occupation centrée sur l’exaltation des plaisirs et des caprices du soi, n’est pas censé être un travail. La seule valeur qui lui est reconnue est celle d’exemple en tant qu’activité séductrice, futile et amorale.

Persistance du fond berbère

La musiqué maure est à l’image de la société, une synthèse historique originale de plusieurs composantes : un fond berbère et des apports noirs et bédouins, le tout remodelé suivant une morale et une esthétique islamiques qui s’expriment par l’arabisation de la culture et la survalorisation de l’élément arabe.

Cependant, le fond berbère reste lisible dans le vocabulaire même qui institue tes griots comme groupe social, à savoir leur nom : iggawen. En effet, le mot iggiw, « griot » est un nom verbal d’origine berbère. II est dérivé du verbe awi ou iwi « porter, rapporter, improviser ». C’est du même verbe que dérivent le mot tesawet qui signifie poésie en touareg, ainsi que le mot tamawayt, nom d’une forme poétique chantée en tamazight, typique du Moyen-Atlas. C’est encore probablement de là qu’est issu le mot al-mâyah, qui fait partie du vocabulaire technique de la musique arabo.andatouse, lequel a été réimporté par te berbère sous la forme lmayt et utilisé en concurrence avec tamawayt. Il est remarquable que le vocabulaire qui distingue les griots comme groupe social continue à se décliner, en genre et en nombre, conformément aux règles de la morphologie du berbère (masculin iggiw/iggawen ; féminin tigiwit/tigawaten), alors que les intéressés sont arabisés et qu’ils se réclament de l’identité arabe. On peut faire la même remarque à propos d’une partie importante du vocabulaire technique de la musique, en commençant par les noms des instruments à cordes : ardin/irdiwen, « harpe », instrument des femmes ; tidinit/tidaniten, « luth », instrument des hommes.

Cinq principaux modes

L’apprentissage de la musique passe par une pratique instrumentale imitative avec pour guidage théorique le repère des modes. Le mode de la musique maure peut être défini comme un thème mélodique schématisé, qui fixe les limites à l’intérieur desquelles l’improvisation libre est autorisée. En même temps qu’il permet de diriger l’apprentissage, le mode est un des moyens utilisés par les musiciens professionnels pour assurer la stabilité du langage musical, sa familiarisation et la maîtrise de son évolution.

On distingue cinq modes principaux, dénommés karr, fâghû, khal, « noir », biedh, « blanc » et bteyet. Chaque mode possède plusieurs sous-modes. Au cours d’un concert, les modes s’enchainent toujours dans l’ordre ci-dessus, sans possibilité d’omission ni de retour en arrière. La seule dérogation possible concerne l’omission de certains sous-modes. Cet enchainement obligé répond à l’idée d’une progression de l’ambiance qui doit conduire l’assistance de l’exacerbation des sentiments à leur apaisement.

L’opposition cadencé/hors-cadence

Le rythme est un calcul temporel anticipé se rapportant la régulation du débit et au contrôle mnémonique de la durée du défilement. C’est ce calcul qui permet de « dire ensemble » et de « se mouvoir ensemble ». La typologie rythmique de la musique des griots utilise le critère de la vitesse du défilement (le tempo). C’est ainsi que toute pièce musicale est rythmiquement répertoriée soit comme cadencée soit comme hors-cadence. L’opposition cadencé/hors-cadence recouvre une opposition légèreté/solennité, Cette même opposition se poursuit à l’intérieur de la catégorie du cadencé, en fonction de la vivacité ou de la lenteur.

Pour qualifier les pièces cadencées, on parle de wazn, « balance, mesure », en se référant au jeu des instruments et de l’air, chawr, ainsi qu’à la voix. Pour qualifier les pièces hors-cadence, on se réfère la voix par le mot mawwâl et au jeu instrumental par le mot dkhul, « entrée ».

En règle générale, les morceaux hors-cadence servent de prélude aux pièces cadencées. Mais il arrive que l’entrée hors-cadence développe un thème autonome, notamment dans les chants d’éloge. II arrive également que les deux types rythmiques se superposent : pendant que la voix est hors-cadence, l’accompagnement instrumental est cadencé. C’est ce qui se produit, dans le mode fâghu, pour les thèmes guerriers chantés en soliste. Les deux langages rythmiques superposés marient dans une même trame la contrainte pour les instruments de « marcher ensemble » et la liberté du soliste de s’en détacher, Il y a là comme une métaphore musicale d’une tactique guerrière.

La musique des griots traite de thèmes très divers et plus ou moins bien cloisonnés : l’amour, la guerre, mais aussi l’évocation des plaisirs, éloges, satires, complaintes, méditations sur la vie, chants de louange à la gloire du Prophète et des héros de la foi. Les éloges ne sont pas seulement décernés à autrui, les griottes chantent souvent leurs propres louanges. Dans les thèmes les plus profanes, les préoccupations religieuses ne sont jamais loin. C’est ainsi que les préludes hors-cadence, quel qu’en soit le thème, commencent et se terminent par la formule de la profession de foi.

Hassan Jouad
Ethnomusicologue


  • Référence : 321.004
  • Ean : 794 881 624 522
  • Artiste principal : Ensemble El-Moukhadrami (مجموعة المخضرمي)
  • Année d’enregistrement : 1993
  • Année de fixation : 2000
  • Genre : Musique Maure
  • Pays d’origine : Mauritanie
  • Ville d’enregistrement : Paris
  • Langue principale : Arabe
  • Compositeurs : Musique traditionnelle
  • Lyricists : Musique traditionnelle
  • Copyright : Institut du Monde Arabe

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