Waed Bouhassoun

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Waed Bouhassoun est née en 1979 dans un village du Djebel al-Arab, entre Soueida, l’ancienne Suda des Nabatéens – ainsi appelée car elle était bâtie de pierres volcaniques noires –, et Chahba, la ville de Philippe l’Arabe. Ici se sont succédé, depuis des millénaires, comme dans tout le Moyen-Orient, cultures et civilisations. Elles y ont toutes laissé des traces, et entre les oliviers, les pommiers et les vignes, c’est sur des fûts de colonnes romaines que les enfants de Chakka jouent à saute-mouton, ou dans les ruines d’un temple qu’ils se cachent, faisant pivoter sur son axe sa lourde porte de pierre sculptée.

Petite, Waed préférait rester à la maison à écouter les cassettes de chansons que son père enregistre lorsque la radio diffuse des concerts d’Oum Kalthoum ou des enfants du pays : Asmahane et son frère Farid al-Atrache. Le soir, son père et son oncle jouent du bouzouk et du oud. Elle les accompagne en battant le rythme sur une casserole. Son père lui achète alors un petit oud ; l’enfant de sept ans qu’elle est devra replier une jambe sous elle afin d’empêcher l’instrument de glisser de ses genoux. Le père et l’oncle lui apprennent à jouer. Très vite, elle s’accompagne en reprenant les chansons qu’elle a toujours écoutées. Ce petit luth, Waed l’emportera avec elle au Yémen, où son père va enseigner pendant deux ans. Dans l’avion, elle le tient sur ses genoux. Elle refuse de se séparer de son instrument et ne veut que personne n’y touche.

Au Yémen, la petite accompagne sa mère dans les réceptions de femmes où elle découvre, fascinée, d’autres chants et d’autres musiques que celles qu’elle jouait et écoutait avec son père. De retour au village natal, une vidéo familiale nous la montre à dix ans, jouant et chantant pour toute la famille réunie à l’occasion d’un mariage. La petite chante juste. Elle a le don, l’oreille absolue. À l’école primaire, elle continue de pratiquer son oud et sera sélectionnée par deux fois, à onze et douze ans, pour participer à une compétition nationale de joueurs de luth de son âge. De concours en concours, de ville en ville, elle finira deuxième, mais avec la certitude d’avoir mérité la première place. Une fois son baccalauréat obtenu, elle s’inscrit à l’Université de Damas où elle sera moins assidue aux cours magistraux qu’à ceux de chant, qu’elle suit pour entrer au Conservatoire de musique. Ce qu’elle fait l’année suivante. La première année se révèle très dure. La jeune fille, qui n’a que dix-sept ans, passe ses journées entières au Conservatoire à suivre toutes les répétitions, tous les cours. Elle est avide de découvertes. Elle a soif d’apprendre, au risque de négliger sa santé et sa voix. Seul le chant lyrique est enseigné au Conservatoire, dont le directeur de l’époque, Solhi al-Wadi, considère qu’il n’y a de musique que classique occidentale. À la fin de la première année, elle passe son examen de chant enrhumée et avec une grosse angine : elle est recalée. Le choix lui est alors donné d’abandonner ses études musicales ou de choisir un autre instrument.

Repartir à zéro, donc. Une année de perdue. Mais Waed persiste. Elle choisit le oud, seul instrument de musique orientale, avec le kanoun, à être enseigné au Conservatoire, grâce à la présence dans le corps professoral d’un couple d’Azéris, le mari enseignant le oud et son épouse le kanoun. À cette époque, tous les professeurs sont originaires de l’ex-Union soviétique et l’enseignement est entièrement orienté vers la formation de musiciens d’orchestre symphonique. Waed va poursuivre assidûment ses études. Elle vit pratiquement au Conservatoire, allant de cours en cours et se réfugiant des heures entières dans un recoin d’un mètre carré de compteurs électriques où, tapie dans l’obscurité, elle gratte sans cesse son oud. Elle passe brillamment les examens des trois premières années. Le directeur lui demande alors d’apprendre, pour la quatrième année, à jouer de la harpe, afin de pouvoir intégrer l’orchestre symphonique. Elle refuse de changer d’instrument à cordes et accepte, puisqu’il le faut, de s’initier au basson. En cinquième année, avec quelques-unes de ses camarades, elle propose au nouveau directeur du Conservatoire, qui vient de prendre ses fonctions, de créer un petit ensemble de musique orientale uniquement composé de femmes. L’idée séduit et l’ensemble est créé. Le « takht féminin oriental syrien » va donner des concerts tant en Syrie qu’à l’étranger à l’occasion de manifestations culturelles officielles. C’est ainsi qu’après avoir obtenu son diplôme, en 2003, Waed va rester à Damas, enseigner le oud et travailler avec son groupe d’amies. En 2004, elle accompagne musicalement une création théâtrale dans laquelle elle est amenée à chanter deux minutes à peine. Deux petites minutes qui décideront de sa carrière.

Chérif Khaznadar


Album disponible : La voix de l’amour