Voie soufie, voix d’amour

Voie soufie, voix d'amour

Nassima

Reconnue pour sa virtuosité dans l’interprétation du répertoire arabo-andalou, Nassima réunit ici les plus belles oeuvres des grands maîtres soufis, d’Ibn cArabî à l’émir Abd el-Kader. Sur des musiques originales et émouvantes, c’est presque un millénaire de mystique tasawwuf qu’elle revisite à son gré, avec, en point d’orgue, sa quête de paix universelle.

« Ma musique est le carrefour de la vie !
J’ai réuni en son cœur,
Des chants d’Amour et de Paix !
Message de l’éternité
Que je veux mien.
 »
Nassima


Tracklist

1 – Mon Dieu très aimé – 5’46
2Layla! – 5’38
3 – Vision de l’Aimé – 6’02
4 – Solo de luth – 1’36
5 – Je suis l’Amour – 4’18
6 – Présence divine – 4’21
7 – Ô mon seigneur ! – 0’56
8 – Le sacrifice d’Abraham – 5’04
9 – L’amour divin/Divine Love 4’38
10 – Au cœur de la nuit – 5’35
11 – Sagesse suivi de Complaintes – 6’01
12 – Paix…Salâm – 3’05


Interprètes et instruments

Nassima (chant, oud, mandole)
Pierre Rigopoulos (daff, zarb, derbouka, chœur)
Noureddine Aliane (oud, chœur)
Rachid Brahim Djelloul (violon, chœur)
Mustapha Kaïd (chœur)


À propos

Les textes mis en musique et chantés par Nassima relèvent tous de cette dimension intérieure, spirituelle ou mystique de l’islam que l’on appelle communément le soufisme (tasawwuf en arabe). « Cœur vivant de l’islam », le soufisme a exploré et exprimé de façon audacieuse des enseignements fondamentaux du Coran souvent négligés : primauté de la relation d’amour entre Dieu et l’homme, Dieu Se révélant au fidèle dans la proximité et l’intimité, universalisme de la miséricorde divine et reconnaissance des autres religions, Dieu en tant que Paix et Complétude… Si le soufisme a imprégné la culture islamique durant des siècles, il connaît actuellement un regain d’intérêt dans les pays dits « musulmans », où les diverses idéologies ont fait long feu, et où il sert souvent d’antidote à l’intégrisme. Par ailleurs, il attire désormais beaucoup d’Occidentaux en quête d’une nourriture spirituelle authentique. Par l’ouverture d’esprit qui le caractérise, il joue d’ores et déjà un rôle providentiel dans cette mondialisation qui ne saurait être uniquement mercantile, sous peine d’acculer l’humanité au suicide.

Dans le soufisme, on accède à Dieu par deux voies complémentaires, et à vrai dire identiques sur le fond : l’amour et la connaissance, qui s’entrelacent indéfiniment dans l’expérience spirituelle. Les maîtres dont les poèmes figurent ici sont à la fois de grands amoureux de Dieu et de grands gnostiques. Leur amour, en effet, n’est point fait de sentimentalisme, il transcende le monde physique car il est précisément de nature métaphysique. Témoin les poèmes d’Ibn cArabî et de son disciple – au-delà des siècles – l’émir Abd el-Kader : l’Amour cosmique qui les anime brise tout dogmatisme étroit, tout ostracisme religieux. Ils célèbrent la Présence divine dans le monde sans exclusive et dans toutes les formes d’adoration. Leur expérience spirituelle est si forte qu’elle lève le voile entre Dieu et l’homme (« Je suis à la fois l’Amour, l’Amant et l’Aimé… », dit l’émir) et rompt les barrières entre les diverses confessions (« Mon cœur est capable de contenir toutes les formes », écrit Ibn cArabî). Cet universalisme si plénier, si ouvert prend sa source, encore une fois, dans le Coran. Gardons-nous d’y voir du syncrétisme : celui qui se réalise dans sa propre tradition spirituelle a accès au message des autres traditions.

L’expression poétique partage avec la mystique une même essence ineffable, un même recours aux symboles et à l’ambiguïté originelle du langage. La prose ne peut rendre compte du vécu intérieur, alors que la poésie permet de suggérer des vérités spirituelles que l’on ne peut, ou ne veut, expliciter formellement. Pour témoigner de cette expérience à la fois puissante et subtile, les soufis ont recours à des réalités de ce monde, comme l’amour et le vin, mais qu’ils transmuent sur le plan spirituel et mystique. Ils emploient donc une terminologie en apparence profane, mais celle-ci n’est qu’un écrin pour exprimer en langage humain ce qui appartient aux mondes supérieurs. « Layla », par exemple, désigne souvent dans la littérature soufie l’Essence divine. Les juristes musulmans, évidemment, s’arrêtaient au sens premier, ce qui ne manquait pas de les choquer : « Qu’elle a été délicieuse, la nuit qui nous a réunis dans une même tunique enlacés, joue contre joue », écrit Ibn al-Fârid. Même cri d’extase dans le poème andalou qui suggère, à la fin seulement, que l’étreinte de ces amants n’est pas de ce monde : « […] Nous nous sommes ensuite levés sans éprouver d’inquiétude à secouer nos vêtements, sur lesquels il n’y avait aucune souillure. » Car il est vrai que, comme pour narguer les censeurs, les poètes mystiques entretiennent parfois l’ambiguïté. Le va-et-vient incessant entre les niveaux de sens alimente une tension qui ne se résout jamais.

Les poèmes mystiques, tout comme les profanes, sont destinés à être chantés, ou au moins récités. Pour l’être spirituel, en effet, la musique qu’il entend ici-bas est comme un écho du Verbe divin et de la musique céleste. Selon certaines traditions, les anges parvinrent à enfermer l’âme d’Adam dans un corps après l’avoir charmée par la musique. La démarche de l’initié va donc consister à remonter l’axe de la Manifestation en libérant son âme par la musique. Par son origine cosmique, celle-ci est un moyen privilégié d’éveil spirituel. Le samâc, ou « écoute spirituelle », est l’une de ces méthodes par lesquelles l’homme tente d’atteindre l’extase. Pour l’être éveillé, tous les sons, naturels ou artificiels, évoquent Dieu car, en réalité, ils L’invoquent : « Les sept cieux, la terre et tout ce qui s’y trouve Le glorifient. Il n’y a rien qui ne célèbre Ses louanges, mais vous ne les saisissez pas. » (Cor. XVII, 44.) Le soufi n’est donc pas seulement ce visionnaire devant lequel se lèvent les voiles du monde sensible ; il perçoit également les sons terrestres comme autant de réminiscences du monde spirituel.

Les séances collectives de samâc ont été largement pratiquées en islam médiéval. Les participants se réunissaient dans des mosquées, des zâwîyas, etc. Les chanteurs ou récitants déclamaient leurs poèmes en s’accompagnant souvent d’instruments de musique. Lorsque l’émotion débordait et que l’extase envahissait le cœur, le corps lui aussi se mettait en mouvement : on battait des pieds et des mains, on poussait des cris et l’on se mettait à « danser », à jeter son turban, à lancer son manteau vers le récitant ou à le déchirer. On pouvait s’évanouir d’extase et parfois, selon les sources, en mourir. Ne nous y trompons pas, outre les soufis, ces séances rassemblaient oulémas, muftis et autres juristes, qui se laissaient parfois aller à danser. On vit même des juristes autoriser les séances de samâc, et des maîtres soufis les proscrire à leurs disciples : ces maîtres « sobres » se refusaient à écouter la parole humaine, préférant le silence de l’Absolu, éloquent pour eux. Mais de non moins grands saints ont fait du samâcleur véhicule spirituel.

« Islam », rappelons-le en conclusion, vient de « salâm », « la Paix », qui est l’un des Noms divins, l’un de Ses attributs, que l’homme doit s’approprier. La Paix, telle qu’en parle le cheikh Bentounès, n’est pas un acquis artificiel pris sur le terrain de la guerre, c’est un état intérieur, qui s’enracine profondément dans l’être grâce à la gnose, la Connaissance, et à l’Amour. Toute autre approche de la Paix, dans ce monde postmoderne qui fuit en avant, est vouée à l’échec. Désormais, la Paix est synonyme de conscience universelle, et d’humanisme spirituel.

Éric Geoffroy, professeur d’arabe et d’islamologie à l’université Marc-Bloch de Strasbourg.


Entretien avec Nassima

Vous êtes internationalement connue pour votre répertoire arabo-andalou. Pourquoi vous orienter aujourd’hui vers une nouvelle démarche musicale, mais aussi religieuse, à travers la philosophie soufie ?
Depuis que je suis toute petite, je chante les chants arabo-andalous qui parlent d’amour. Cette musique s’inspire beaucoup du soufisme. Je chantais sans le savoir des paroles qui avaient une dimension soufie. Pour moi, c’était de l’amour, l’amour de deux êtres. Je me rends compte que j’ai toujours chanté la joie de l’union et la douleur de la séparation, mais dans la philosophie soufie, l’amour, c’est l’amour divin, l’ivresse, c’est l’ivresse spirituelle et non l’ivresse terrestre. À Blida, ma ville natale, je chantais déjà des textes de cheikh Ahmed el-cAlawî, grand maître spirituel de la confrérie soufie Al-Alawiyya, mais je ne savais pas que c’étaient des textes soufis. Pour moi, il n’y avait pas de différence entre chants soufis et sacrés, c’était la même chose. Je le faisais tout naturellement avec mes maîtres Dahmane Ben Achour, El Hadj Medjbeur, Sadek Bedjaoui, maîtres de l’école arabo-andalouse. Ce n’est que ces derniers temps que j’ai réalisé que je baignais dans un milieu soufi.

Vous avez vécu dans un milieu particulièrement tolérant, puisque toute jeune, puis devenue femme, vous avez pu suivre des cours de musique, être protégée par vos maîtres, et ce pour notre plus grand bonheur…
Comme d’autres villes du Maghreb, Blida a accueilli, au XVe siècle, les populations andalouses qui ont fui l’Espagne par vagues successives après la chute de Grenade. Dans ma ville natale, toutes les confessions étaient représentées, comme cela fut possible à une autre époque, en Andalousie, devenue une terre mythique en souvenir de l’Andalousie de jadis, où les trois religions, musulmane, chrétienne et judaïque, coexistaient en parfaite harmonie. J’ai eu la chance d’avoir de très grands maîtres qui m’ont transmis cet héritage arabo-andalou. Ce patrimoine musical et poétique est représenté par la nouba ; suite classique qui va crescendo et dure environ une heure, et dont les thèmes sont l’amour courtois, la nature et la nostalgie de la terre andalouse. Les poèmes sont chantés soit en langue classique (le muwashshah) soit en langue semi-classique (le zadjal). C’est la musique du temps des réfugiés, où l’on chante beaucoup Grenade, Malaga, Cordoue… Il existe aussi les dérivés populaires de la nouba, le hawzî, propre à la région de Tlemcen, le carûbî et le shac algérois et le mahdjouz de Constantine. De plus, il y a un répertoire de chants sacrés, comme le madîh, qui sont les louanges au Prophète.

Les poèmes soufis de l’album sont arabo-andalous, classiques et contemporains puisqu’ils proviennent d’Ibn cArabî ou encore de cheikh Khaled Bentounès. Comment avez-vous choisi leurs textes ?
J’ai voulu mettre à l’honneur les mystiques andalous et maghrébins pour que le grand public les connaisse mieux, bien que j’admire aussi les poètes soufis du Machrek. Leurs textes m’ont beaucoup touchée. J’ai découvert l’émir Abd el-Kader et choisi d’interpréter son beau poème Je suis l’Amour. L’émir s’est toujours inspiré du grand soufi Ibn cArabî qui est son maître spirituel, même s’ils n’ont pas vécu à la même période. J’ai voulu faire cette liaison entre l’élève et son maître. C’est un texte magnifique, dont la rime en arabe est superbe. Il est très proche de celui d’ Ibn cArabî, l’un des plus grands poètes qui soit en toutes langues.

Voilà qui touche aussi votre âme d’Algérienne, on sent bien que chanter le poème de l’émir Abd el-Kader a pour vous beaucoup de sens.
Je voulais le faire connaître au plus grand nombre. Il n’était pas qu’un résistant ou un grand stratège. Il a grandi dans une famille de soufis et de mystiques, au premier rang desquels on compte son père, Mahyeddine. C’est sa mère, une femme lettrée, qui, dans un premier temps, lui a enseigné le Coran et les bases théologiques. L’émir est un soufi, un mystique, un intellectuel, une personne d’une vaste culture et un poète magnifique.

Est-ce que vos recherches vous ont donné une autre vision de l’islam ? Est-ce que cela a eu une incidence, des conséquences sur votre vie ?
J’ai retrouvé la paix intérieure perdue en quittant mon Algérie natale, comme beaucoup d’intellectuels, d’artistes, de familles qui ont dû s’expatrier. Je voulais en parler, mais il m’a fallu un peu de temps pour que cela mûrisse. À travers le soufisme, je me suis aussi rapprochée de l’islam, qui est une religion de paix, de salâm, d’amour, de fraternité. De plus, la poésie mystique est le prolongement des chansons d’amour que je chante depuis l’enfance. Aimer l’autre, connaître l’autre, respecter l’autre, je retrouve tout cela dans ces poèmes. Maintenant, je suis en parfaite harmonie avec moi-même, en paix.

Cette quête du soufisme n’est-elle pas également le moyen de vous affranchir d’un carcan qui vous cantonnait à la musique arabo-andalouse ?
Pour les musiques, j’avais la liberté de créer ce que je voulais, il a fallu faire du sur-mesure. Alors je me suis inspirée des modes. J’ai retravaillé des mélodies très anciennes avec des arrangements de ma création. D’autres sont nouvelles. J’ai cherché des modes qui me touchent un peu plus, qui vont avec ces textes d’amour de mon enfance et qui traitent de la présence divine. Le titre Le Sacrifice d’Abraham a été un travail très délicat, parce que Abraham est le père de tous les croyants. J’ai dû faire un résumé de ce texte. Le public jugera…

Quel est le message du disque ?
En ce moment, je me sens particulièrement concernée par une certaine « diabolisation » de l’islam. Ibn cArabî a dit : « En moi vous pouvez tout trouver, les trois religions monothéistes », ou encore : « L’Amour est ma religion et ma foi. » Le message du soufisme, qui est le cœur de l’islam, véhicule des valeurs universelles très fortes, comme celle de vivre ensemble fraternellement. L’émir Abd el-Kader énonce : « Il y a de la place pour tous. » Ce qui a éveillé en moi le besoin de faire ce disque a été la lecture d’un ouvrage collectif, Le Livre international de la paix. Des personnalités éminentes venues de tous les horizons, telles que Nelson Mandela, cheikh Khaled Bentounès, le dalaï-lama ou l’abbé Pierre, y délivrent un message de paix universelle. Cela a déclenché en moi, qui venais d’Algérie et qui voulais lancer un appel pour la paix, l’amour et le respect mutuel, l’envie d’offrir au public ce disque traitant des mêmes thèmes puisés dans la poésie soufie.

Comment avez-vous préparé cet album ?
C’est le fruit de trois ans de recherches, pendant lesquels j’ai consulté des livres, assisté à des conférences, questionné des amis soufis, visité des expositions, surfé sur le web… Avec les musiciens, nous avons aussi beaucoup travaillé ensemble. Dans ce disque, il y a juste un cûd, un violon et les instruments à percussion vraiment proches du soufisme : le daf, le zarb, qui ont un son qui va merveilleusement bien avec le chant et les chœurs.

Comment qualifieriez-vous cette musique qui accompagne ces chants soufis ?
Je me suis inspirée des modes andalous. Pour le texte d’Abd el-Kader, il est en do majeur, c’est un mawwâl. Je voulais lui donner une mélodie algérienne, très populaire et actuelle, pour lui rendre une certaine « algérianité », afin de lui rendre hommage. Pour chaque texte, je me suis promenée à travers les modes zidân (hidjâz), raml el mâya et mezmoum, qui s’accordent parfaitement avec la poésie mystique. J’ai aussi travaillé sur le sihlî, qui a une sonorité plus contemporaine. Réciproquement, c’est la musique qui nous transporte dans une ballade à la découverte d’œuvres magnifiques de poètes qui ont choisi la voie de l’amour, le seul chemin de la paix.

Aujourd’hui, est-ce que vous pourriez chanter ce répertoire dans votre pays natal ?
Je l’espère. En 2003, je suis retournée en Algérie, j’ai chanté dans la plus grande salle d’Alger, Ibn Khaldoun. La télévision et la presse nationales étaient là, ravies de me revoir sur une scène algérienne. Je m’étais absentée pendant dix ans ! J’ai eu grand plaisir à renouer avec mon public, mon pays, j’ai chanté avec beaucoup d’émotion, la gorge nouée au début. Les youyous fusaient dans toute la salle. Les spécialistes m’ont dit : « Votre voix a vraiment évolué, votre départ a été constructif. »

Vous qui êtes installée à Paris, n’est-ce pas une manière de mieux supporter l’éloignement, de trouver des mots à l’exil, au déracinement ?
Lorsque je suis sur scène, je me sens chez moi. Là où je vais dans le monde, je me sens à la fois chez moi et dans le pays où je suis invitée. La scène est le seul endroit où je me sente à l’aise, dans mon habit traditionnel, avec mon instrument, entourée de mes compagnons, chantant dans ma langue natale. Je recrée mon univers en chantant, en échangeant et dialoguant avec les autres.

Propos recueillis par Caroline Bourgine, journaliste à France Culture.


Biographies sommaires des maîtres soufis arabo-andalous

Abû Madyân al-Ghawth (v. 1126-1198)
Il est surnommé « shaykh al-Mashâyikh » (le maître des maîtres) par Ibn cArabî, qui lui vouait une grande admiration et le cite plus que tout autre maître dans son œuvre. Abû Madyân est né à Cantillana, près de Séville, dans une famille modeste. Attiré par de célèbres maîtres de l’école d’Almeria pour leur ascétisme, il était également influencé par l’imam el-Ghazâlî, par l’un de ses maîtres marocains, Ibn Hirzihim (« sidi Harazem »). Mais son initiateur spirituel a été Abû Yacza, au Maroc, un Berbère surnommé « Yalannour » (le possesseur de lumière). Et, à son retour d’Orient, il s’établit à Béjaïa, d’où il exerce de son vivant une influence sans précédent au Maghreb. Cependant, le maître n’a laissé que peu d’écrits spirituels. Le souverain Yacqûb el-Mansour, l’Almohade, sans doute inquiet par tant de succès, le rappelle dans sa capitale Marrakech. Arrivé aux environs de Tlemcen, il tombe malade et meurt. Il repose à El-Oubbad, conformément à ses vœux. Très vénéré et régulièrement visité, il est aujourd’hui le saint patron de Tlemcen.

Ibn cArabî (1165-1240)
Né à Murcie, en Andalousie, Muhyî al-Dîn Abû cAbd Allâh Muhammad ibn cAlî ibn Muhammad al-Hâtimî, célèbre philosophe, théologien, poète et mystique soufi est considéré comme le plus grand des maîtres de la spiritualité islamique (al-Shaykh al-Akbar). Pendant plus de trente ans, il parcourt le monde musulman, depuis l’Andalousie jusqu’à l’Anatolie, instruisant inlassablement ses disciples, avant de s’établir à Damas. Il est l’auteur d’une œuvre monumentale de plus de quatre cents ouvrages, dans laquelle il aborde tous les aspects de la vie spirituelle. Sa doctrine repose sur l’unicité de la réalité ou « monisme existentiel », qui a dominé et revivifié la spiritualité soufie, soulevant parfois de vives résistances au sein de l’islam. Le maître andalou était porteur d’un message universel qui se résumait à cette affirmation : « L’amour est ma religion et ma foi. » Il meurt en 1240 et repose à Damas même, où le sultan Sélim 1er a fait construire un mausolée à sa mémoire.

Mohamed Ibn Messaïb (mort en 1768)
Abû Abdellah Mohamed Ibn Messaïb est né à Tlemcen au début du XVIIIe siècle. Il est le descendant d’une famille andalouse qui s’était d’abord établie à Fès. Chanteur très apprécié, il exerçait le métier de tisserand. Poète prolifique, il composera plus de 3 034 poèmes, dont une infime partie nous est parvenue. Son pèlerinage à La Mecque lui inspire un texte poétique traduit par Mohamed Bencheneb, sous le titre de Itinéraire de Ben Messaïb de Tlemcen à La Mecque. Il meurt en 1768 et repose au cimetière de Sidi Mohamed Essenoussi, dans les environs de Tlemcen, non loin de sidi Abû Madyân.

L’émir Abd el-Kader (1807-1883)
L’émir est né en Algérie, près de Mascara. Plus connu comme chef de guerre pour sa vaillance, son courage, son esprit d’organisation et la résistance farouche qu’il opposa à l’armée coloniale française que pour le grand mystique qu’il était, d’une vaste culture et qui, dès sa tendre enfance, baigna dans un milieu religieux. Sa mère lui enseignera les bases du Coran. Attiré par le soufisme depuis toujours, il eut tout le loisir d’approfondir son enseignement durant son incarcération en France, puis durant exil à Damas, où il se fixa jusqu’à sa mort, en 1883. Ses nombreux écrits nous révèlent un homme de cœur, d’une grande profondeur, empreint de respect pour l’humain. Épris de justice, lors de son séjour en Syrie, il intercéda en faveur de chrétiens menacés par les Druzes, et les sauva ainsi d’une mort certaine. Enterré selon ses vœux près de son maître Ibn cArabî à Damas, ses cendres furent transférées à Alger, au cimetière des martyrs d’El cAlia, le 6 juillet 1966.

Cheikh Ahmed el-cAlawî (1874-1934)
Ahmed ibn Mustafa ibn cAlîwa, Abû el cAbbas el cAlawî, dit Ahmed el-cAlawî, est né à Mostaganem, en Algérie. Il était un exégète du Coran et un érudit de l’école juridique malékite. Poète mystique et refondateur de la tarîqa Chadhilite, à partir de laquelle il fonda l’ordre cAlawî-Darqâwî, dont il fut le chef spirituel jusqu’à sa mort, en 1934, à Mostaganem. Son enseignement était bâti sur la soumission à la loi sacrée, la foi pure (El Imân), selon l’enseignement prophétique et la perfection de la foi (El Ihsân) à la lumière de la connaissance d’Allah, ce que le soufisme permet d’atteindre. Son diwân poétique a été édité à plusieurs reprises, la dernière édition étant celle de 1987. L’examen de son recueil nous révèle que le poète mystique a développé deux grands thèmes : l’éloge de la beauté divine et l’éloge de la beauté du Prophète. Cette poésie se caractérise par sa simplicité, le but, selon lui, étant de transmettre ses enseignements à un large public.

Cheikh Khaled Bentounès (né en 1949)
Né à Mostaganem, en Algérie, le cheikh Khaled Bentounès est très tôt désigné maître spirituel par l’assemblée des sages de la confrérie cAlawiyya, à la mort de son père, en 1975, « à sa plus grande surprise », dira-t-il.Écrivain et conférencier, il fédère l’ensemble des zâwiyas de la confrérie au Maghreb, au Moyen-Orient, en Europe et en Afrique, et dispense l’enseignement traditionnel du soufisme auprès de milliers d’adeptes au cours de ses pérégrinations à travers le monde. Il se fait le chantre d’une culture de paix et de fraternité, et agit dans une triple direction, véhiculer l’information authentique sur la réalité de l’islam pour sa réintégration dans la modernité ; mettre en place le dialogue interreligieux ; et consacrer du temps et de l’énergie à l’action humanitaire. Il précise que « si l’islam est un corps, le soufisme en est le cœur, on y réapprend à goûter la saveur de Dieu dans le silence de l’instant ».

Biographies compilées par Nassima et le professeur Hadjadji


Les enregistrements

1- Mon Dieu très aimé – 5’46
Auteur : Ibn cArabî

Il n’y a aucun être dans tout l’univers qui, en disant mon Dieu !
Ne songe au Très-Haut. En effet, moi-même, je le dis
Je ne connais aucun amoureux qui puisse éprouver une passion pour un autre que Moi, car sa passion est qu’il soit mon Amant.
Mon Amant ne peut-être que celui qui éprouve le même Amour que le mien.

2- Layla ! – 5’38
Auteur : Ahmed el-cAlawî

Épris de la beauté de Layla, je devins un esclave
Le cœur en proie à un amour fou errait avec la belle
Ô Layla ! « Que le salut soit sur toi », lui dis-je et 
« Sur tous les nobles qui sont les successeurs »
Accorde Ô mon Dieu ! une bénédiction sublime
Au flambeau de la nuit, Taha le bienfaiteur.

3- Vision de l’Aimé – 6’02
Auteur : Ahmed el-cAlawî

Lorsque ma bien-aimée apparut, elle était dévoilée !
Ô ! amoureux de la bien-aimée, c’est le moment de la contempler
Que celui qui veut percer notre secret s’approche et s’instruise,
Tous les savoirs lui seront exposés
Ô ! amoureux de la bien-aimée, c’est le moment de la contempler.

4- Solo de cûd – 1’36
Musique instrumentale traditionnelle

5- Je suis l’Amour – 4’18
Auteur : émir Abd el-Kader

Je suis à la fois l’Amour, l’Amant et l’Aimé,
Je suis l’Amoureux aimé secrètement, au grand jour.
Je dis « Moi ! » mais se peut-il qu’il y ait là un autre que moi ?
Je ne cesse d’être en « Moi » éperdu et désemparé.
En « Moi » sont les attentes de l’humanité,
Celui qui veut lire le Coran ou saisir sa lumière,
Celui qui veut une Torah ou un Évangile,
Ou qui veut une flûte, des psaumes et un discours clair
Celui qui veut une mosquée où prier avec ferveur son Seigneur,
Ou qui veut une synagogue, un clocher et un crucifix,
Celui qui veut la Kaaba pour embrasser sa pierre,
Ou qui veut des fétiches ou qui veut des idoles,
Celui qui veut une retraite pour s’y isoler,
Ou qui veut une taverne et faire l’éloge des belles,
Il y a en « Moi » ce qui était et ce qui est,
En nous, en vérité, gît le signe et la preuve.

6- Présence divine – 4’21
Auteur : Ahmed el-cAlawî

Ces hommes, qui se sont éclipsés en Dieu ! 
Ont fondu comme neige, je le jure par Dieu !
Sont-ils perplexes à la contemplation divine ?
Tu les vois ivres, je le jure par Dieu !
Sont-ils subjugués au rappel divin ?
Si le chanteur exalte la beauté divine
Ils se lèvent transportés par la grâce de Dieu
Que Dieu leur accorde sa miséricorde, soit satisfait d’eux 
Et les inonde de sa brise légère.

7- Ô mon Seigneur – 0’56
Auteur : Abû Madyân al-Ghawth

Ô Toi l’Illustre qui voit ce qu’il y a dans le monde invisible, 
Ce qu’il y a sous terre après la tombée de la nuit.
Tu es le guide pour celui qui est complètement désemparé. 
Nous nous sommes tournés vers Toi avec les fermes espérances, 
Tout le monde, l’impatient comme l’implorant, T’adresse une prière.
Si Tu venais à pardonner, à Toi le mérite, à Toi la noblesse,
Et si Tu faisais preuve d’autorité, Tu es le juge équitable.

8- Le Sacrifice d’Abraham – 5’04
Extraits d’un poème ancien

Abraham (Ibrahim en arabe), Patriarche, Messager, Prophète et ami de Dieu est le père commun des croyants appartenant aux trois religions monothéistes. Il reçut en songe l’ordre de Dieu d’offrir son fils en sacrifice comme acte absolu de confiance et d’obéissance.

Ibrahim El Khalil (l’Intime) emmena son fils le troisième jour, paré de ses plus beaux habits sur le mont Moriah ou devait avoir lieu le sacrifice. Au moment où il s’apprêtait à le faire, l’archange Gabriel lui présenta un bélier en lieu et place du fils bien-aimé.

Depuis, le sacrifice d’Abraham est commémoré durant le pèlerinage dans la vallée de Mina.

9- L’Amour divin – 4’38
Auteur : Ibn cArabî

Mon cœur contient désormais toutes les formes :
Il est pâturage pour les gazelles, monastère pour les moines
Demeure pour les idoles, Kaaba aux pèlerins,
Tablettes de la Torah, exemplaire du Coran
Ma religion est l’Amour, là où ses montures le mènent,
L’Amour est ma religion et ma foi.

10- Au cœur de la nuit – 5’35
Poème andalou

L’Amant de mon cœur m’a rendu visite à l’aube, je me suis levé
Pour lui rendre hommage jusqu’au moment où il s’est assis.
Ô ! mon espoir, lui dis-je, Ô source de tous mes désirs ! 
Ainsi m’as-tu rendu visite, de nuit, sans avoir peur des gardiens ? 
Si, j’ai eu peur, me répondit-il, mais l’amour ardent m’a ravi l’âme et le souffle.
Nous nous sommes alors enlacés et nous avons dormi un moment
Où nos âmes ont failli nous être dérobées. 
Nous nous sommes ensuite levés sans éprouver d’inquiétude 
À secouer nos vêtements, sur lesquels il n’y avait aucune souillure.

11- Sagesse, suivi de Complaintes – 6’01
Musique traditionnelle arrangée par Nassima

Sagesse – auteur : Ibn cArabî
Si j’avais été parmi les sages, j’aurais anéanti ma jeunesse
À dire sans cesse : Bénédiction et Salut de Dieu sur le Prophète
En hébreu, en langue arabe, en battant des mains et du tambourin
Et en jouant du rabâb, source d’une tendresse infinie.

Complaintes – auteur : Ibn Messaïb
Suppliques que l’auteur adresse au Prophète afin qu’il intercède en sa faveur au jour du Jugement.

Suivi d’un madîhauteur : Ibn Messaïb
Chant de louanges traditionnel destiné au Prophète.

12 – Paix… Salâm – 3’05
Poème de cheikh Khaled Bentounès récité par Nassima

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux
La Paix.
Elle est la fleur au parfum enivrant du jardin de la quiétude.
Elle est le mouvement d’amour qui submerge et unit les cœurs de pardon et de mansuétude.
Elle est la monture du héros qui combat l’intolérance.
Elle est la méditation suprême du sage noyé dans l’éternelle présence.
Elle est la plume du savant qui éveille et transmet la connaissance.
Elle est l’encre de l’alphabet céleste, mystère de l’essence.
Elle est la fondation de la demeure de la justice et de la dignité.
Elle est la force salvatrice des hommes contre la monstruosité.
Elle est le remède du cœur face à l’angoisse des âmes agitées.
Elle est l’hymne des chérubins qui portent le trône divin.
Elle est le nom béni de Dieu invoqué par toute la création.
Elle est enfin, Salâm, à laquelle j’invite et consacre toute ma dévotion.

Traductions (excepté le poème de Khaled Bentounès) du professeur Hadjadji


  • Référence : 321.078
  • Ean : 794 881 795 529
  • Artiste principal : Nassima (نسيمة)
  • Année d’enregistrement : 2004
  • Année de fixation : 2005
  • Genre : Chant soufi
  • Pays d’origine : Algérie
  • Ville d’enregistrement : Paris
  • Langue principale : Arabe
  • Compositeurs : Nassima ; Musique traditionnelle
  • Lyricists : Ahmed el-‘Alawî ; Cheikh Khaled Bentounès ; Musique traditionnelle
  • Copyright : Institut du Monde Arabe