Sur un air de Nouba

Beihdja Rahal

L’interprétation des noubas m’djanba et mezmoum proposées dans ce double CD exige de la chaleur, de l’âme et du sentiment. L’andalou algérois est ici porté à son firmament par la voix cristalline de Beihdja Rahal qui rayonne dans l’interprétation de ce style musical classique. L’andalou se joue avec des instruments traditionnels tels que la percussion/târ, la derbouka, le luth, le violon, la kwîtra (cordes) et le qânûn (cithare). Son exécution impose le respect total de ses règles, de son harmonie, de ses rythmes et de sa ligne mélodique. L’ensemble dégage une atmosphère émotionnelle dense.


Tracklist

Part 01La Nouba M’djanba
1 – Inqilâb Zidân : Ahabba qalbî/Mon cœur s’est épris – 4’26
2 – M’saddar : Qum yâ habîbî/Eveille-toi, mon amour – 9’37
3 – Btayhî : Law kân al-milâh yansifû/Ah ! Si les belles pouvaient être équitables – 10’06
4 – Istikhbâr Zidân : Nadharî ilâ wadjhi l-habîb/Je contemple le visage de mon bien-aimé – 5’46
5 – Darj : Sâltak yâ badîc al-shabâb/Jouvenceau à la beauté sans pareil – 7’55
6 – Insirâf : Mâ-lî shamûl/Que de peines et de chagrins – 10’35
7 – Insirâf : Sabat qalbî/Elle a envoûté mon cœur – 3’27
8 – Insirâf : Dir al-qatîc/Fais tourner les coupes – 5’01
9 – Khlâs :Yâ turâ in kân tacûd/Ah ! S’ils pouvaient revenir – 6’28
10 – Qâdriyya : Hâdjib maca khûh/Le sourcil au sourcil accordé – 2’26

Part 02 – La Nouba Mazmûm
1 –
Inqilâb : Mâ ‘whash nahâr as-safar/Quelle tristesse le jour de ton départ – 5’18
2 – M’saddar : Anâ cîshqatî fî sultân/Je suis épris du sultan – 17’00
3 – Btayhî 1 : Afnânî dal hubbu raghma/Cet amour m’a annéanti – 5’12
4 – Btayhî 2 : Atânî rasûl/Un messager m’est apparu – 17’21
5 – Istikhbâr : Qadîbun min ar-rayhani/Tel un astre – 4’32
6 – Darj : Yâ nâ’imîn lâ tarkudû/Dormeurs, réveillez-vous – 5’02
7 – Insirâf 1 : Dir yâ nadîm kâss al-cuqâr/Commensal, prépare une coupe de vin – 5’30
8 – Insirâf 2 : Zâda l-hubbu wajdî/La passion a augmenté mes émotions – 4’33
9 – Insirâf 3 : Hal dâra dhabiu l-himâ/La gazelle de ces lieux – 4’52
10 – Insirâf 4 : Qad bashsharat bi qudûmikum/La brise du matin a annoncé votre arrivée – 4’18
11 – Khlâs 1 : Yâ rûhî, yâ rihânî/Tu t’es emparé de mon cœur – 2’15
12 – Khlâs 2 : Yâ muqâbil/Ami, je perds patience – 3’10


Interprètes et instruments

Nadji Hamma (oud)
Mohamed El Amine Belouni (oud)
Tarik Hamouche (kouitra, qânûn)
Youcef Nouar (mandoline)
Djamel Kebladj (alto)
Lyès Boukoura (alto)
Sid Ahmed Khazradji (alto)
Abdelhalim Guermi (nây)
Belkacem Sisaber (târ)
Mourad Taleb (derbouka)
Amina Belouni (choeur)
Meriem Boulahchiche (chœur)
Bouabdellah Zerrouki (direction artistique et technique)


A propos

Nous avons tous entendu cette musique au paradis, écrivait Mawlâna Jalâl ud-dîn Rûmî, bien que l’eau et l’argile de nos corps aient fait tomber sur nous un doute, quelque chose de cette musique nous revient en mémoire.

Quand le musicien arabe saisit son luth ou son rabâb[1] et improvise un istikhbâr ou un mawwâl[2], il accomplit un geste magique qui le relie aussitôt au monde des « sphères supérieures ». Car nos âmes, affirment les soufis, ont visité le paradis et y ont goûté des mélodies divines avant que nos préoccupations terrestres ne nous les fassent oublier.

L’histoire de toute musique ne serait alors que la quête ininterrompue des musiciens afin de retrouver ces mélodies célestes originelles. Leurs efforts ne tendraient qu’à se réapproprier ce que nos âmes ont entendu avant d’être enfermées dans l’opacité des corps physiques.

Même si, pour accompagner son chant, le musicien a recours à son instrument, la musique arabe est impensable sans la voix du chanteur. Par sa voix, l’interprète transmet l’émotion qui l’étreint. Une complicité s’établit alors entre le messager inspiré et l’auditeur raffiné et exigeant dont l’âme a soif de révélations subtiles. C’est le sens profond de ce qu’on appelle « majâlis al-uns », ces moments où une communion profonde se crée entre celui qui chante et ceux qui écoutent. Musique, chant, interprètes et auditeurs ne font plus qu’un dans cette wihdat at-tarab, une forme d’empathie émotionnelle que les vrais amateurs de musique recherchent dans chaque concert. L’imam Abû Hâmîd al-Ghazâlî proclamait : « Celui qui n’a pas été remué par les fleurs du printemps et les cordes du luth a une âme corrompue pour laquelle il n’existe aucun remède. »

La musique éveille l’âme par la joie qu’elle procure, mais aussi par le « spleen » qu’elle fait naître dans le cœur en ravivant tous les souvenirs enfouis et les blessures accumulées. Les peines d’amour, les affres de la séparation et la douleur des attentes déçues refont surface. De même, on se souvient de l’innocence de l’enfance et des illusions de l’adolescence. Puis, comme par magie, la voix du chanteur, les sons des instruments ou les paroles d’un poème viennent panser les plaies et remplir de joie l’âme de celui qui est à l’écoute.

L’auditeur perçoit la musique autant avec son « histoire personnelle » qu’avec la culture acquise dans la société où il a reçu son éducation. Et le thème qui provoque le plus ce sentiment de profonde nostalgie est celui de la perte de ce paradis réel ou mythifié : alAndalus. L’Espagne fut musulmane pendant plusieurs siècles et lorsqu’elle fut perdue, ses anciens habitants n’acceptèrent jamais leur exclusion définitive et crurent longtemps à un possible retour dans leur patrie. C’est la raison pour laquelle les Andalous transmirent à leurs descendants, de génération en génération, les clés de leurs demeures abandonnées de l’autre côté de la mer. Ils léguèrent aussi à leurs héritiers leur profond chagrin et des chants poignants de nostalgie. Ils y racontent leur attachement à un mode de vie qui fut exemplaire à leur époque. Ils étaient célèbres pour leur joie de vivre et d’aimer ainsi que pour leur soif d’absolu durant les siècles qui ont précédé la chute du dernier rempart musulman : Grenade. Malgré cette tragédie, les chants andalous sont toujours vivants comme le sont les arbres et les rivières qui les ont vus naître. Ils sont vrais comme le furent les joies et les peines des hommes et des femmes qui ont inspiré leurs auteurs.

Le double album présenté ici par Beihdja Rahal vient confirmer ces propos par l’émotion qu’il fait naître chez l’auditeur. Les poèmes chantés parlent de la joie d’aimer :

« Éveille-toi, mon amour et écoute le rossignol
Répandre son chant dans le jardin
Où toutes les fleurs sont réunies… »

Mais ils sont aussi un miroir du cœur de l’amant qui souffre :

« Pour toute boisson, je n’ai que mes peines et mes chagrins,
Et pour unique mélange, mes larmes abondantes.
Par Dieu ! ce qu’il a déversé comme pleurs
Cet amoureux que torture son ardente passion. »

La voix émouvante de la chanteuse a porté jusqu’à nous, en plus des pièces connues du répertoire andalou, quelques perles vouées à l’oubli. Elles sont sauvées grâce à la générosité de Yacine Bensemmane qui a livré à Beihdja Rahal ce que son père passionné de musique lui a légué. Elles sont sauvées aussi grâce à l’opiniâtreté d’une chanteuse désireuse d’offrir à ses auditeurs tout ce qu’elle a appris et ce qu’elle continue de recueillir. Rabah Mezouane et le regretté Tarik Hamouche font deux portraits croisés mais convergents de celle qui est devenue un grand nom de la nawba algérienne. Le lecteur pourra se rendre compte du chemin parcouru par Beihdja Rahal depuis ses premiers cours au conservatoire d’El-Biar à Alger.

Enfin les explications données sur les deux nawbât Mazmoum et M’djanba ainsi que les traductions de l’ensemble des textes chantés apporteront un éclairage indispensable pour l’auditeur non arabophone. Tous les ingrédients sont ainsi réunis pour que ce double album, par la qualité de l’interprétation et la richesse de son livret, soit une occasion de s’émerveiller et de s’instruire.

Saadane Benbabaali
Est spécialiste de la littérature arabo-andalouse et maître de conférences à l’université Paris III, Sorbonne nouvelle

L’art de la nouba

Quel art mieux que la nouba exprime la nostalgie, la tristesse, l’amour déçu, mais aussi l’espoir qui renaît grâce à la beauté de la musique ?

Conçue au ixe siècle dans le paradis perdu d’al-Andalus, la nouba est d’abord l’œuvre d’un homme, Ziryâb (dont le vrai nom est Abû Al-Hassan cAlî ibn an-Nâfî (né en 789 dans l’actuel Irak et décédé à Cordoue en 857) qui est à l’origine du chant andalou. Ancien affranchi, menacé de mort par le musicien officiel de la cour de Bagdad, ce prodige s’exile à Cordoue en 822. Abderrahmane II le prend sous sa protection et lui offre la possibilité d’exprimer son talent. Sa musique rencontre la poésie andalouse dont la structure strophique répond à la nécessité de variation mélodique qui caractérise la nouba et s’épanouit dans ses thèmes de prédilections : douceur de vivre et amour courtois.

D’Andalousie, la nouba se diffuse dans tout le Maghreb et le Machrek, via les musiciens et lettrés qui sillonnent la région. Au fil de la reconquista de l’Andalousie par les chrétiens au xve siècle, elle accompagne les mouvements migratoires et s’enrichit d’apports locaux. C’est ainsi que les écoles comme le gharnâtî de Tlemcen (originaire de Grenade), la sancâ d’Alger (venue de Cordoue) et le mâlûf de Constantine (originaire de Séville) voient le jour.

Par la suite, l’art de la nouba s’est figé, les musiciens cherchant à conserver le genre plutôt qu’à le faire évoluer. De nombreuses pièces sont malheureusement tombées dans l’oubli. D’autres ont vu leurs modes se confondre. Près de la moitié des noubas d’origine ont ainsi disparu.

C’est dans les années 1930 qu’une poignée de passionnés ressuscite l’art de la nouba. La radio, le disque, puis la télévision, les festivals et aujourd’hui Internet ont permis la sauvegarde de ce patrimoine, sur les deux rives de la Méditerranée.

La structure de la nouba

Signifiant « attendre son tour », la nouba est « une suite de pièces instrumentales et vocales chantées sur des mélodies appartenant à des modes caractéristiques. Elle est exécutée sur des rythmes d’allures différentes se succédant avec une accélération progressive du tempo ». (Saadane Benbabaali et Beihdja Rahal, La Plume, la voix et le plectre, 2008).

Chaque nouba repose sur un mode appelé tabc, qui lui donne généralement son nom. Dans l’école algérienne, ils sont au nombre de douze : dîl, m’djanba, h’sîn, raml al-mâya, raml, ghrîb, zîdân, rasd, mazmûm, sîka, rasd ad-dîl, mâya.

La légende raconte que le répertoire de Ziryâb comportait 24 noubas, sur 24 modes conçus pour chaque heure de la journée. Cependant, même si certaines noubas comportent des allusions au crépuscule ou au lever du jour, rien ne permet de confirmer cette hypothèse.

Les instruments d’origine comptent le luth (cûd) et ses dérivés (luth carbî, kwîtra), le qânûn (cithare), la flûte-nây et les percussions : t’biblât et târ. D’autres instruments sont venus se greffer au fil des siècles : derbouka, violon, alto, mandoline, voire piano.

L’architecture de la nouba était très précise. Toutes les noubas n’ont pas conservé tous leurs mouvements, et se sont également enrichies d’autres pièces, ou istikhbâr, relevant de l’improvisation.

Chaque nouba commence par la m’shâliya, une ouverture instrumentale non rythmée, hésitante, qui aboutit à une dernière phase harmonieuse, annonçant l’entrée dans la tushiya.

Cette dernière demeure instrumentale mais une percussion entre en action et annonce les mélodies qui seront chantées dans les sections suivantes. Le tempo s’emballe jusqu’à la transe avant de ralentir pour préparer l’arrivée de la première pièce vocale : le m’saddar.

Joué sur un rythme binaire, austère, lent, le m’saddar exalte la voix du soliste, à laquelle les instruments donnent la réplique. Le btayhî reste dans le même rythme, même si le tempo est libéré de la contrainte. Puis le kursî (« chaise »), petite pièce instrumentale de transition, permet de passer au darj, dont lemouvement s’accélère, avec une mesure ternaire qui apparaît à la fin de la strophe chantée.

La tushiya-t al-insirâfât permet aux chanteurs de reposer leur voix et de préparer l’auditeur à la deuxième partie de la nouba, qui se joue sur un rythme ternaire. Après un nouveau kursî, viennent les deux dernières sections : l’insirâf et le khlâs. Elles sont jouées sur un tempo de plus en plus rapide, culminant avec le khlâs qui invite à la danse avant de s’éteindre brusquement. La tushiya-t al-kamâl vient clore le tout et enchaîner éventuellement avec la nouba suivante.

Jessie Magana

Détails des enregistrements

CD n° 1 – La Nouba M’djanba

La nouba m’djanba, dont le nom signifie « partie antérieure » ou « flanc », est celle que l’on joue au moment où le soleil, après son lever, commence à s’élever sur le côté sud du ciel. Le texte du poème chanté dans cette nouba évoque la nature éclairée par les premiers rayons du jour : les fleurs printanières s’épanouissent et chaque chose visible offre le reflet merveilleux d’une vie en éveil. L’être humain est en pleine activité et tous ses sentiments répondent harmonieusement à ce qui l’entoure. La nature ressuscite, et les êtres ressentent le besoin de vivre et de mettre toute leur vitalité au service du travail et de la gaieté. Le poète s’éveille également, mais face à la clarté du soleil qui lance ses rayons sur la campagne fleurie, il sent revenir en lui le souvenir d’un amour radieux. Il ressent brusquement le désir de rappeler à celle qui a suscité cet amour les moments délicieux passés ensemble.

La nouba m’djanba s’ouvre sur le mouvement m’saddar car elle a perdu sa tushiya. On perçoit immédiatement l’ampleur et l’étendue du jour qui se lève. Il est à ses débuts et l’espoir est grand car, comme disait Baudelaire : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. »

Une floraison aussi luxuriante, un soleil aussi radieux, un climat aussi doux, suscitent des sentiments propices à l’épanchement et poussent le poète à exprimer ce qu’il ressent pour celle qu’il vient de réveiller. Cette ambiance voluptueuse le pousse à déclarer sa passion, mais aussi à se plaindre d’un détournement, d’une bouderie de la belle.

La flamme est tellement brûlante qu’elle aveugle l’amoureux et le pousse au doute, à l’incertitude. L’envoûtement, la passion laissent percer mille échos invraisemblables. La belle est là, elle sourit mais le poète n’en est pas convaincu car son amour trop fort l’enchaîne et le rend incapable de réagir ou de voir clair.

Le darj, ou ascension, transcrit cette agitation en une complainte suppliante et pitoyable à la fois. Il exprime une tristesse mélancolique, une langueur désespérée où plus rien n’est à attendre. Il est tellement sincère qu’il touche le cœur de celle qui l’observe : le miracle inespéré se produit alors au grand étonnement de tous.

Le khlâs, final, transforme le désespoir et redonne, par sa beauté, le goût à la vie. Savoir qu’il est aimé par la princesse de son cœur pousse le poète à se réjouir, il est comblé de bonheur.

Cette nouba renvoie à un éveil progressif, à une prise de conscience qui nous rappelle que, quelles que soient les circonstances, l’espoir fait toujours vivre.

Beihdja Rahal, d’après une étude originale d’Ahmed Sefta, « Études sur la musique algérienne », ENAL, 1988.


Détails des enregistrements

1- Inqilâb Zidân : Ahabba qalbî/Mon cœur s’est épris – 4’26

Mon cœur s’est épris d’une gazelle de Turquie,
Sa joue, couleur de rose, a la senteur du musc ;
Elle a des yeux pour rire et les miens sont pour pleurer.
Ses regards ont attisé les feux de ma passion.
Je lui ai dit : ô ma gazelle, aux yeux si noirs
Sois généreuse et à tes lèvres laisse-moi boire
Et tes dents de perles laisse-moi admirer.
Elle se ploya comme un tendre rameau
Puis me jeta un regard et me repoussa
Alors que ses yeux clairs causaient mon trépas.
Tout doux, ma gazelle, lui dis-je, tes yeux m’ont asservi,
Tu es la reine des belles, alors prends soin de tes sujets.

2- M’saddar : Qum yâ habîbî/Eveille-toi, mon amour – 9’37

Éveille-toi, mon amour et écoute le rossignol
Répandre son chant dans le jardin
Où toutes les fleurs sont réunies ;
Le lys et la giroflée ont enlacé la guimauve
Et l’églantine se pavane parmi les feuillages ;
L’aube point et jette ses rayons à l’horizon.

3- Btayhî : Law kân al-milâh yansifû/Ah ! Si les belles pouvaient être équitables – 10’06

Ah ! Si les belles pouvaient être équitables
Et avoir de la compassion pour un amoureux comme moi
Elles sauraient alors ce que j’ai enduré
A cause de l’amour que je leur porte.
Apportez les coupes de vin,
Et abreuvez-moi du jus de la vigne !
Nul reproche pour cette coupe que je tiens
Et pour le vin partagé au soir finissant.

4- Istikhbâr Zidân : Nadharî ilâ wadjhi l-habîb/Je contemple le visage de mon bien-aimé – 5’46

Je contemple le visage de mon bien-aimé avec tendresse,
Alors que la séparation avec lui me fait tant souffrir.
Moi qui n’avais aucune pitié pour les amants,
Me voici aujourd’hui amoureux et objet de compassion.

5- Darj : Sâltak yâ badîc al-shabâb/Jouvenceau à la beauté sans pareil – 7’55

Dis-moi, jouvenceau à l’incomparable beauté
Quelle est la raison de tant de cruauté ?
L’abandon est une dure souffrance
Après l’amour et l’espérance.
Cesse donc de me blâmer
Et viens renouveler le serment de fidélité.
Le passé est fini et révolu
Aujourd’hui les pactes sont renoués.
Quel bonheur ! L’aimé de mon cœur est consentant,
Lumière de mes yeux, lune annonçant ma félicité.

6- Insirâf : Mâ-lî shamûl/Que de peines et de chagrins – 10’35

Pour toute boisson, je n’ai que mes peines et mes chagrins,
Et pour unique mélange, mes larmes abondantes.
Par Dieu ! ce qu’il a déversé comme pleurs
Cet amoureux que torture son ardente passion.
C’est une gazelle qui a causé sa mort.
Il est victime d’un coup de lance
Celui qui, entre le désespoir et l’espérance
Est passé de vie à trépas.

7- Insirâf : Sabat qalbî/Elle a envoûté mon cœur – 3’27

Ô mes amis, elle a envoûté mon cœur
Celle qui brille comme un soleil et surpasse toutes les gazelles
Le destin me fait vivre aujourd’hui les affres du doute.
Ah ! si je n’avais connu ni l’amour, ni la passion.
En elle, il y a la lumière et la clarté mais aussi l’absence
Mon bien-aimé se délecte de tout ce qui advient.
Émouvoir l’indifférente est une tâche si dure.
Aux soupçons, je préfère la mort ;
Tantôt vainqueur, tantôt vaincu,
Mon cœur est torturé et je ne trouve point de consolation.

8- Insirâf : Dir al-qatîc/Fais tourner les coupes – 5’01

Fais tourner les coupes et sers la petite gazelle, lumière des cœurs
Alors que le soleil décline vers le couchant ;
Sers-nous à boire du vin
Alors que rougeoie le soleil du soi
Et nous mène doucement vers la nuit.
Sers à boire à tous les convives et bois aussi
Alors que le soleil décline vers le couchant.
Bois à la lumière de l’astre,
Parmi les arbres aux hautes futaies
C’est le printemps, la saison de la joie qui ressuscite les cœurs ;
Nous avons partagé nos coupes
Alors que le soleil déclinait vers le couchant.

9- Khlâs :Yâ turâ in kân tacûd/Ah ! S’ils pouvaient revenir – 6’28

Ah ! Si les jours heureux pouvaient revenir
Et si nous pouvions encore être unis ;
Nous profiterions de la joie passée
Et nous aurions parmi nous les sept redoublés.
Le tambourin, le luth, le rabâb et la flûte
Nous tiendraient compagnie
Ainsi que la guitare et la boisson, fille de la jarre.

10- Qâdriyya : Hâdjib maca khûh/Le sourcil au sourcil accordé – 2’26

Le sourcil au sourcil accordé,
Elle a recouvert ses yeux de beauté.
L’amour au fond du cœur est bien gardé
Mais il brûle ma poitrine de ses brasiers.
Ses yeux ont fait du charme leur prisonnier
Quant à sa taille que Dieu la préserve !

traduit de l’arabe par Saadane Benbabaali

CD n° 2 – La Nouba Mazmûm

Le mazmûm est l’un des modes les plus caractéristiques de la musique andalouse. Joué sur la tonique fa, il correspond selon Jules Rouanet dans son étude de la musique arabe à la gamme lydienne donc au mode majeur moderne, c’est pourquoi il fut très prisé pour des expériences d’harmonisation de la musique sancâ.

Sur ce disque, Beihdja Rahal nous propose un retour à la nouba mazmûm, mode qu’elle avait visité de sa voix une première fois en 1997 à Paris pour son deuxième enregistrement, avec pour pièce maîtresse le célèbre m’saddar « Yâ mân saken sadrî/Ô toi qui habite mon coeur ».

Classée neuvième dans l’ordre établi par Edmond Nathan Yafil dans son recueil de poèmes de la sancâ édité en 1904, la nouba mazmoum passe aujourd’hui pour être l’une des plus limitées en nombre de morceaux. En effet, son interprétation offre de nos jours matière à l’exécution d’un programme quasi unique. C’est ainsi que fut encouragée la tendance consistant à encombrer presque systématiquement la nouba algéroise de pièces appartenant aux répertoires voisins : celui de Tlemcen qui est plus ou moins compatible, mais aussi celui de Constantine et même du Maroc pour alimenter une série interminable de khlâs.

Généreux, spontané et volontaire, Yacine Bensemmane, fils du regretté Hadj Omar Bensemmane, a transmis à Beihdja Rahal, en quelques séances de travail, des pièces de ce programme que l’on croyait pour certaines perdues à jamais.

Beihdja Rahal a tenu à travers cet enregistrement à rendre un modeste hommage à l’homme providentiel que fut Hadj Omar Bensemmane et à exprimer ses sincères remerciements aux membres de la famille Bensemmane, en particulier à Yacine pour son dévouement et pour avoir su être le fidèle dépositaire du répertoire de son père.

Tarik Hamouche

1- Inqilâb : Mâ ‘whash nahâr as-safar/Quelle tristesse le jour de ton départ – 5’18

Quelle tristesse le jour de son départ !
Lorsqu’il s’en est allé et nous a fait ses adieux.
Combien de temps cette beauté lunaire sera-t-elle absente 
Lorsque je parle de mon amour, ma tristesse augmente.
Je pleure et verse des larmes jusqu’à m’en évanouir.
A peine arrive-t-il qu’il repart aussitôt.

ô mon cœur, tu es à plaindre mais patience !
Il reviendra certainement.
Combien de temps cette beauté lunaire sera-t-elle absente ?
Par Dieu, ô colombe, porte donc ce message,
Dis bien à mon amour que je le salue,
Qu’il a laissé son sujet errant et fatigué
De l’attente sur le chemin du retour.
Comment puisse-t-il ainsi jouir de la vie ?
Combien de temps cette beauté lunaire sera-t-elle absente ?

2- M’saddar : Anâ cîshqatî fî sultân/Je suis épris du sultan – 17’00

Je suis épris du sultan qui me dédaigne.
A Tlemcen est sa demeure, Dieu l’a éloigné de mes yeux.
Ton regard me lance des flèches, pourquoi ô belle créature ?

Tes yeux au bleu azur m’ont fasciné.
Ton déhanchement a troublé mon esprit,
Tu as rempli mon cœur de doutes.
Gloire à Dieu qui t’a créé pour me faire souffrir,
Toi à la taille d’une branche de fleur de lys.
Si seulement tu m’accordais une étreinte,
Je ne connaîtrais ni soucis ni tristesse.
Parmi les doux visages, c’est celui de mon sultan que j’aime.
Contre sa joue je m’enivre.

3- Btayhî 1 : Afnânî dal hubbu raghma/Cet amour m’a annéanti – 5’12

Cet amour m’a anéanti et la séparation m’a foudroyé.
Si tu veux me juger, que ton jugement soit clément.
Car celui qui tue une âme innocente, brûlera dans les flammes de l’enfer.
Qu’ont mes ennemis à me persécuter ? Je n’ai que trop erré.
Car dans cet amour, je ressemble au fou de Layla.

4- Btayhî 2 : Atânî rasûl/Un messager m’est apparu – 17’21

Un messager est venu, envoyé par celui qui m’a quitté.
Il m’a réjouit de son approbation m’annonçant sa venue.
Mon cœur endure et mes larmes ruissellent.
Lorsque ma belle m’a rendu visite,
Elle eut pitié de moi et me demanda pardon.
Elle s’exclama en ma présence et battit de l’aile.
Elle m’enlaça et je fus comblé…

5- Istikhbâr : Qadîbun min ar-rayhani/Tel un astre – 4’32

Tel une tige de basilic qui se dresse sous la lune
Les yeux emplis de magie, les joues empourprées
Ses paroles jaillissent telles des perles éparpillées,
Sa salive sirupeuse a le goût d’une liqueur.

6- Darj : Yâ nâ’imîn lâ tarkudû/Dormeurs, réveillez-vous – 5’02

Dormeurs, réveillez-vous !
Allons boire, faisons la fête et recommençons.
Echangeons nos coupes, ô dormeurs, c’est l’aube.
Lorsque la lumière du jour apparut,
Et jeta son voile sur les branches,
Mon cœur me dit « ô pauvre de toi ! »
Echangeons nos coupes, ô dormeurs, c’est l’aube.

7- Insirâf 1 : Dir yâ nadîm kâss al-cuqâr/Commensal, prépare une coupe de vin – 5’30

Ô commensal, prépare une coupe de vin parfumé, couleur pourpre.
Félicite-moi ! Hier, mon astre m’a rendu visite.

Hier, ma douce gazelle est venue me voir,
Après s’être détournée de moi, elle a rempli mon cœur de joie.
Et je m’en fus déguster le miel,
J’ai cueilli des fleurs de toutes les couleurs.
Félicite-moi ! Hier, mon astre m’a rendu visite.
Hier, mon bien-aimé est venu me voir et a soulagé mes peines,

Il a éteint les feux de mon triste cœur en dormant près de moi.
Ainsi tu meurs, ô mon guetteur, car la chance m’a souri,
Je ne peux qu’être comblé, ô mes amis.
Félicite-moi ! Hier, mon astre m’a rendu visite.

8- Insirâf 2 : Zâda l-hubbu wajdî/La passion a augmenté mes émotions – 4’33

La passion a augmenté mes émotions,
Et je n’ai pu en éteindre le feu.
J’étais maître de mon cœur,
Et je lui déconseillais l’amour.
J’ai fini par l’offrir de ma propre main à celui qui l’a accablé.

Je suis à bout de patience et j’aspire à l’étreinte,
Tel un oiseau aveuglé qui s’échappe du piège puis y retourne.
Si Dieu me faisait grâce, je ne me soumettrai plus,
Et je jure par Dieu de ne plus aimer celui qui me dédaigne.
Je me repentis, ô mon Dieu.
Mon cœur et mes yeux m’ont leurré,
Mon secret fut dévoilé à ceux qui l’ignoraient,
Tel un oiseau aveuglé qui s’échappe du piège puis y retourne.

9- Insirâf 3 : Hal dâra dhabiu l-himâ/La gazelle de ces lieux – 4’52

La gazelle de ces lieux sait-elle qu’elle a enflammé
Un cœur amoureux l’éloignant de son gîte ?
Il bat avec ardeur tel un tison au gré de l’alizé.
Ô astres s’illuminant le jour de la séparation,
Telles les premières lueurs de l’aurore.
Je ne suis en amour coupable d’aucun péché,
Si ce n’est mon regard porté sur votre beauté,
Blessé, privé des plaisirs,
Je n’approche mon bien-aimé que par la pensée.
Mes plaintes le font étonnamment sourire,

Telle la pluie qui espère endeuiller une prairie,
Alors qu’elle lui redonne vie.

10- Insirâf 4 : Qad bashsharat bi qudûmikum/La brise du matin a annoncé votre arrivée – 4’18

La brise du matin a annoncé votre arrivée,
Bienvenue à vous ô visiteurs !
Nos âmes ont senti le parfum de la rencontre,
Que c’est beau d’entendre le chant des retrouvailles !

11- Khlâs 1 : Yâ rûhî, yâ rihânî/Tu t’es emparé de mon cœur – 2’15

Ô mon âme, tu t’es emparé de mon cœur,
Toi aux belles joues empourprées.
Je prie Dieu qu’il préserve ta grâce,
Tu es mon Sultan et je suis ton sujet.
Tu es le prince au visage radieux,
Tu es le charme, tu es l’élégance.
Nous sommes ensemble, le reste importe peu.

12- Khlâs 2 : Yâ muqâbil/Ami, je perds patience – 3’10

Amis, je perds patience mais ma passion y est toujours.
Celui que j’aime se venge de moi sans raison,
Il ne pense plus à moi.
Que Dieu me réunisse avec la prunelle de mes yeux,
Je narguerai ainsi mon guetteur.
Quel bonheur, la chance me sourit,
Mon amour est assis à mes côtés.
Je donnerai une fête en son honneur,
Dehors resteront mes ennemis.

Traduit de l’arabe par Farouk Tazerouti


[1] Le rabâb est l’instrument emblématique de la musique arabo-andalouse. C’est un instrument à cordes frottées doté d’une ou de deux cordes. Le corps de l’instrument est fait de bois creusé. On utilise un archet très recourbé pour faire vibrer les cordes. De nos jours, il est uniquement employé au Maghreb dans les orchestres de musique classique, malheureusement il a tendance à être remplacé par le violon au son plus clair. Sa tessiture dans le registre ténor et le son très particulier qu’il produit en font l’instrument le plus proche de la voix humaine. 
[2] Termes techniques utilisés en Algérie et au Maroc pour désigner une improvisation vocale et instrumentale sans accompagnement de la percussion. L’istikhbâr et le mawwâl donnent au chanteur la possibilité de montrer sa faculté d’improviser et de faire preuve de son imagination musicale.


  • Référence : 321.079.080
  • Ean : 794 881 832 125
  • Artiste principal : Beihdja Rahal
  • Année d’enregistrement : 2004
  • Année de fixation : 2010
  • Genre : Nouba arabo-andalouse
  • Pays d’origine : Algérie
  • Ville d’enregistrement : Alger
  • Langue principale : Arabe
  • Compositeurs : Musique traditionnelle
  • Lyricists : Musique traditionnelle
  • Copyright : Institut du Monde Arabe

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