Rhapsodie pour luth

Rhapsodie pour luth

Yousra Dhahbi

La pratique du luth en solo ne s’est développée qu’à partir des années 1930. Mais en une unique génération, elle s’est imposée sur toutes les scènes grâce à des artistes comme Jamil et Munir Bashir, Ghanim Haddad ou Salman Shukr. C’est cette filiation que revendique Yousra Dhahbi : “ Quand j’étais élève, mon professeur de luth ne croyait pas au talent féminin dans le domaine instrumental et ne faisait que me décourager. Par défi et malgré mon jeune âge, j’ai mis les bouchées doubles pour lui prouver le contraire. ” Sa réussite doit beaucoup à cette tranquille pugnacité, dont elle s’arma dès lors qu’elle eut adopté le noble instrument. Elle représente aujourd’hui la première génération de femmes luthistes solistes du monde arabe.


Tracklist

1Hayra/Inquiétude – 16 :00
2 Raksa/Danse – 5 :52
3 Hanin/Tendresse – 7 :13
4 Rouhaniyet/Méditations – 4 :42
5 Farha/Joie – 12 :46
6 Hamasset/Chuchotements – 4 :17
7 Tahmila rast – 13 :35


Interprètes et instruments

Yousra Dhahbi (oud)


À propos

Longtemps la musique instrumentale arabe fut marginalisée, victime de la suprématie des chansons de variétés. Et ce n’est que dans les années 30, à l’instigation d’un Sharif Muhyiddine Haydar, le fondateur du Conservatoire de musique de Bagdad (première école officielle du monde arabe), que la pratique de l’oud en solo a pu se développer. Une génération plus tard, le soliste imposa son statut sur toutes les scènes, par Jamil et Munir Bashir, Ghanim Haddad, Salman Shukr et consorts interposés.

C’est cette filiation que revendique la Tunisienne Yousra Dhabhi, laquelle a marqué de sa présence, ces dernières années, de nombreux festivals où elle reçut ovations et distinctions (dont le premier prix au Concours international de luth de Jordanie), signes d’une expression et d’un tempérament appelés à mieux la faire apprécier hors de son pays. Un tempérament qu’une anecdote résume assez bien : “Quand j’étais élève, mon professeur de luth ne croyait pas au talent féminin dans le domaine instrumental et ne faisait que me décourager. Par défi, et malgré mon jeune âge, j’ai mis les bouchées doubles pour lui prouver le contraire.” Pour le moins, sa réussite doit beaucoup à une tranquille pugnacité dès lors qu’elle a ressenti que cet instrument en forme de demi-poire était fait pour elle. Une conviction acquise fort jeune lorsque, au cours des fêtes familiales, elle voyait son frère avoir du succès en jouant du luth même si, déjà, elle s’irritait qu’il le pratique de façon approximative. Aussi, dès le lycée de jeunes filles de la rue du Pacha, à Tunis, via le club de musique, tentera-t-elle, en vain, de prendre des cours jusqu’à ce qu’une seconde année de conservatoire lui permette enfin de toucher l’objet de ses rêves. Pour autant, cette passion, elle devra la tenir en laisse, son père craignant qu’un investissement trop important dans la musique ne la détourne des études dites “classiques”. Un paradoxe, si l’on sait que lui-même, chanteur soufi, fils d’une mère louée pour la beauté de sa voix, éleva ses enfants au rythme de soirées de chants et de répétitions de sa troupe musicale. Quoi qu’il en soit, cette priorité sera maintenue après son baccalauréat, lorsqu’elle envisagera de se consacrer totalement à la musique : “Ma famille s’est opposée à ce choix et m’a conseillé d’opter pour une autre branche car, soi-disant, il n’y avait pas d’avenir dans ce domaine.” Ce qui l’amène à choisir une filière paramédicale, la cytomorphologie, et, après quatre années d’études et un diplôme, à travailler dans une clinique.

Pourtant, durant tout ce cursus, la jeune femme n’a cessé de progresser au luth. Outre le conservatoire et les heures d’entraînement, elle ira prendre des leçons chez le grand maître tunisien, Ali Sriti. Des cours privés relativement chers pour une famille nombreuse, mais que son père assuma. Un investissement gratifiant puisque, après six ans d’études au conservatoire, elle passera avec succès la même année le diplôme de musique arabe et le diplôme de luth. Des dispositions qui, naturellement, l’orientaient vers l’Institut supérieur de musique (ISM), mais qui furent, on l’a vu, contrariées par un principe de réalité symbolisé par la faculté de médecine. Pourtant, une fois encore, le lien avec la musique ne sera pas rompu. Et, en parallèle avec un travail stressant, car elle est en contact avec des malades, elle poursuit des cours à l’ISM. Jusqu’à ce que, tiraillée entre sa vocation et un métier qui ne lui correspond pas vraiment, elle décide de démissionner afin de terminer ses études supérieures musicales. Un coup de tête cette fois partagé par sa famille : “Fait étonnant, ce fut mon père qui m’encouragea à faire ce choix. Je me sentais enfin moi-même !” Être soi-même : ce besoin d’identité, une autre voix l’avait approuvé. En effet, pendant et après ses études à l’ISM, elle fut accompagnée par une des stars du luth, l’irakien Naseer Shamma, lequel lui conseilla d’embrasser une carrière de soliste. Une idée qui la taraudait puisque, voulant marier un instrument oriental (le luth) avec un instrument occidental (le piano), elle s’était déjà enhardie avec une amie professeur de piano, Samira Esseghir, à imaginer un répertoire qu’elles présentèrent pour la première fois devant un grand nombre de spectateurs au Centre culturel russe de Tunis. De même qu’elle s’était impliquée, quatre ans durant, dans un ensemble musical (luth, qanun, violon, ney, contrebasse, tar, chant) avant que celui-ci ne se dissolve, ses membres, d’ex-étudiants en maîtrise, étant appelés à diverses fonctions loin de la capitale. Ou encore qu’elle soit devenue membre de la troupe La Rachidiya, laquelle, depuis 1934, s’employait à sauvegarder et dynamiser le patrimoine musical tunisien.

Quoi qu’il en soit, tout au long de ses expériences, Yousra Dhabhi n’a cessé de s’intéresser aux différentes écoles de luth. D’abord en écoutant les enregistrements des grands luthistes, comme Sharif Muhyiddine Haydar, Jamil et Munir Bashir, Ghanim Haddad (Irak), Riadh Sumbati et Mohamed al-Qasabdji (Egypte), Khmais Tarnane (Tunisie), Al Bidhaoui (Maroc). Puis, grâce à des invitations à des rendez-vous internationaux, où elle va rencontrer certaines grandes pointures de l’instrument, à l’instar des Mounir Bachir, Saïd Chraïbi (Maroc), Ali Sriti et Taher Gharsa et son fils Zied (Tunisie), Ylden (Turquie), et bien d’autres. Des voyages à l’étranger qui vont aussi lui permettre de s’investir dans d’autres registres. Ainsi, en 1999, après avoir joué devant des mélomanes au Caire avec la grande chanteuse marocaine Karima Skalli, elles décident de travailler ensemble, inaugurant une collaboration inédite, celle d’une chanteuse accompagnée par une instrumentiste. Autant d’acquis, au croisement d’une fine connaissance des écoles de luth et d’une grande sensibilité qui font la singularité de Yousra Dhabhi, laquelle avoue : “Pour ma part, dans mon travail, j’essaie toujours d’être sincère. Et je pense que lorsqu’on l’est, il y a un rendu de sa personnalité qui passe à l’auditeur.” En témoigne un jeu, sobre et gracieux, influencé par l’école de Bagdad et le tarab égyptien et des compositions au diapason d’une météorologie intime. Ce premier album en porte le témoignage, conçu qu’il est de façon assez picturale, selon une palette de sentiments, qui vont de l’expression contradictoire de tourments (Hayra), à celle de la joie (Farha), en passant par une atmosphère festive (Raksa), un sentiment de tendresse (Hanin) ou l’évocation d’un état plus mystique (Rouhaniyet). Ses taqâsîm (improvisations) trahissant ce mélange de douceur et de sereine volonté qui la caractérise.

Non contente de représenter avec élégance la première génération de femmes luthistes solistes du monde arabe actuel, Yousra Dhabhi fait preuve d’ambition et de curiosité. Ainsi s’est-elle plongée dans une investigation du patrimoine musical tunisien dans la perspective d’une thèse de doctorat portant sur la musique tunisienne depuis les années 20 jusqu’à la création de la radio tunisienne, en 1957. Elle envisage d’enregistrer (voix et instrument) des pièces d’inspiration soufie. Et elle s’est pris de passion pour l’al arbi, un oud local composé de quatre cordes, plus petit que l’oriental et qui exige une technique de jeu complètement différente de celles des autres écoles.

Frank Tenaille


Détails des enregistrements

1- Hayra/Inquiétude – 16’00
Enregistrement « live » en mode mikriz
Composition : Yousra Dhahbi

« A l’origine, il s’agissait plutôt d’une histoire que j’ai voulu raconter au public par le moyen de la musique, lorsque je me trouvais à Bruxelles pour un concert. Un sentiment d’inquiétude dû à un événement personnel m’a poussée à imaginer ce morceau. J’avais envie à ce moment-là de m’extérioriser. Sur scène, le soir du concert, j’ai eu les larmes aux yeux, et ce fut réciproque pour le public. »

2- Raksa/Danse – 5’52
Mode ches kar
Composition : Yousra Dhahbi

« J’ai écrit ce morceau un jour où j’étais très heureuse. J’avais passé des heures à jouer au luth et, à trois heures du matin, j’ai commencé à le composer. »

3- Hanin/Tendresse – 7’13
Mode beyeti
Composition : Yousra Dhahbi

4- Rouhaniyet/Méditations – 4’42
Enregistrement « live » en mode rahit larweh
Composition : Yousra Dhahbi

« C’est un mode que j’aime beaucoup et qui me plonge dans un état soufi. »

5- Farha/Joie – 12’46
Mode rast dhil
Composition : Kaddour Srarfi

6- Hamasset/Chuchotements – 4’17
Mode nahawend
Composition: Jamil Bashir

7- Tahmila Rast – 13’35
Variations en mode rast
Taqâsîm inspirés d’une composition de Sami Schawa


  • Référence : 321.057
  • Ean : 794 881 746 521
  • Artiste principal : Yousra Dhahbi (يسرى ذهبي )
  • Année d’enregistrement : 2001
  • Année de fixation : 2004
  • Genre : Instrumental classique
  • Pays d’origine : Tunisie
  • Ville d’enregistrement : Bruxelles
  • Langue principale :
  • Compositeurs : Yousra Dhahbi ; Kaddour Srarfi ; Jamil Bashir ; Sami Schawa
  • Lyricists :
  • Copyright : Institut du Monde Arabe