L’héritage ottoman

L'héritage ottoman

Ensemble Kudsi Erguner

La musique classique ottomane insuffla un formidable développement au concept des makam, les modes : leur multiplication, la complexité de la gamme et l’adaptation instrumentale qui s’ensuivit fournit un matériel musical propice à l’enrichissement du répertoire.
C’est ce riche patrimoine, que Kudsi Erguner et son ensemble se proposent de faire redécouvrir. Ils interprètent ici quelques-unes des pièces les plus intéressantes des fasl, enchaînements dans un même mode d’œuvres se distinguant par des cycles rythmiques différents : des peshrev, préludes instrumentaux ouvrant les suites et les cérémonies des derviches tourneurs, et des saz semaï, conclusions de suites.


Tracklist

1 Huseyni Peshrev – 5’16
2 Hayal/Songe – 2’36
3 Muhayyer Kurdî Saz-Semaï – 7’42
4 Fezâ/Ciel – 3’47
5 Ferahfezâ Peshrev – 3’37
6 Sûz-i ashk/Brûlure d’amour – 1’ 52
7 Sûzidil Saz-Semaï – 7’14
8 Seddiarabân Saz-Semaï – 7’21
9 – Pierre Loti – 5’25
10 Dilnigâr – 1’44
11 Nevrûz/Nouvel an – 8’02
12 Üsküdar/Scutari – 7’37
13 Muhabbet/Entente – 3’27
14 Çeçen kızı/La jeune fille de Tchétchénie – 3’06


Interprètes et instruments

Kudsi Erguner (nây)
Hakan Gungör (kanoun)
Derya Turkan (vièle)
Mehmet Emin Bitmez (oud)
Necip Gülses (tanbur)
Vahid Anadol (percussion)


À propos

La culture de l’Empire ottoman, et notamment la musique « savante » ou « classique », est une synthèse des cultures véhiculées et élaborées depuis le XIIIe siècle par une élite de citadins lettrés d’origines multiples : Turcs, Arabes, Grecs, Arméniens, Slaves et Juifs, qui partageaient et forgeaient une culture commune. Au cours des siècles, un grand fossé s’est creusé entre d’une part cette musique savante citadine et particulièrement istanbuliote, et de l’autre les musiques populaires, plutôt rurales, présentes dans les diverses régions de l’empire.

Ont ainsi subsisté deux traditions distinctes, surtout en musique et en poésie, avec des langues différentes : celle de l’élite, qui s’exprimait en langue « ottomane », mélange de turc, d’arabe et de persan, ou dans l’une ou l’autre de ces langues, et les cultures populaires, multiples, qui elles s’exprimaient dans divers dialectes, turcs, arabes, arméniens, juifs, kurdes, chaldéens…

Ce qui caractérise la musique classique est le formidable développement du concept des makams, les modes de cette musique modale, qui fut exploré dans toutes ses possibilités, et a donné naissance à une théorie codifiée et sophistiquée. D’une vingtaine de modes utilisés au XIVe siècle, on distingue jusqu’à neuf cent soixante-deux modes à la fin du XVIIe siècle. Ces nouveaux modes et les nouveaux intervalles ont amené les instruments à s’adapter et ont fourni un matériel musical extraordinairement propice au développement du répertoire.

Les makams et leurs intervalles

Le mot « makam » désigne un « lieu », un « endroit ». Au début du développement de ce vaste système, le degré sur lequel l’itinéraire mélodique se posait, sa « fondamentale », constituait son makam, son lieu. Un makam se définit par une certaine échelle de notes qui respecte une hiérarchie entre les notes et jusqu’à certaines figures mélodiques qui peuvent distinguer les différents makams d’une même famille.

Les premiers makams utilisaient principalement les intervalles « naturels », correspondant aux rapports harmoniques tels qu’on les trouve sur tous les instruments à cordes (ton, tierce, quarte et quinte « harmoniques »). Ces intervalles constituent des échelles de notes, avec une partie basse et une partie haute, et c’est le jeu des transpositions et des mélanges entre ces parties hautes et basses des différents makams qui a permis, et permet encore, d’en créer de nouveaux.

Précisons qu’il ne s’agit pas des intervalles de la gamme tempérée, apparue plus tard en Europe, et qui ne comporte que douze demi-tons par octave, quand le système des makams a fini par comporter cinquante-deux notes non équidistantes sur cette même octave…

Le système des makams et ses intervalles oblige l’expression musicale à rester monodique : il n’y a pas d’harmonisation avec différentes parties d’orchestre, et tous les musiciens jouent la même mélodie. La richesse de cette musique réside dans la multiplicité des intervalles, dans le jeu des modes et la grande diversité des rythmes. On peut ajouter que non seulement l’improvisation fait encore de nos jours partie de la formation et de la pratique des musiciens, mais que même l’interprétation des compositions laisse une place à des différences de jeu marquées entre musiciens ou entre orchestres.

Suite à la colonisation, des générations entières d’intellectuels et de musiciens moyen-orientaux ont été complexées et persuadées de la « supériorité » de la culture et de la musique occidentales. Ainsi, certains musicologues et musiciens ont abandonné leur patrimoine pour se mettre au pas de l’harmonie et du contrepoint… Dans cette perspective, en 1932, le congrès du Caire a été une tentative pour simplifier ce foisonnement de possibilités et adopter une gamme qui, espérait-on, allait permettre d’harmoniser les compositions du répertoire savant du Moyen-Orient et de constituer une musique nouvelle. La solution était simple : diviser par deux la gamme tempérée européenne et créer vingt-quatre quarts de ton. Ces tentatives ont été plus ou moins heureuses, et il en reste surtout aujourd’hui une tendance à présenter les concerts avec une esthétique et dans un contexte qui évoquent ceux des orchestres symphoniques d’Europe.

Si l’harmonisation des mélodies traditionnelles est aujourd’hui tombée en désuétude, la notion de quart de ton s’est imposée au Moyen-Orient, principalement dans les pays arabes, et nombreux sont ceux qui jouent des quarts de ton à la place des intervalles originaux, car c’est ce qui est enseigné depuis les années 40 dans les conservatoires des grandes villes d’Orient.

En réalité, les vingt-quatre quarts de ton ne permettent pas de jouer la version authentique des musiques savantes et populaires du monde arabe, turc et persan. Quand on utilise ces gammes simplifiées, il est impossible de distinguer la différence entre les makams qui se jouaient auparavant sur des échelles de notes différentes, car elles se particularisaient grâce à leurs intervalles propres… L’idée même de tempérament égal, qui a représenté une ouverture pour la musique occidentale, avec le développement de l’harmonie, a été une catastrophe pour cette musique modale, qui puisait sa richesse dans un matériel différent.

Une culture hybride est donc apparue, faite d’emprunts conceptuels souvent mal assimilés et d’emprunts techniques détournés pour s’adapter aux « nouvelles idées » locales. Parallèlement à ce mouvement, qui concerne surtout les productions de masse, une nouvelle génération de jeunes musiciens de musiques « classiques » ou « populaires », est à la recherche d’une authenticité dans l’esthétique.

En effet, depuis dix ans environ, des rééditions sur CD des anciennes archives 78 tours ont permis de se former à l’écoute des musiciens du début du XXe siècle qui avaient des styles de jeu très différents de ce que les radios et télévisions du Moyen-Orient en général, et de la Turquie en particulier, ont bien voulu diffuser au titre du patrimoine culturel.

Ces styles anciens n’avaient subsisté qu’à travers quelques personnalités, et l’ensemble créé par Kudsi Erguner a pour objectif de restituer l’émotion (tarab), le style (tavır) et l’exactitude des intervalles, sur des répertoires anciens ou nouveaux.

Le fasl

On appelle « fasl » la suite ou l’enchaînement, à l’intérieur d’un même makam, de diverses œuvres qui se distinguent par des cycles rythmiques différents. Ces fasl comportent des compositions instrumentales et d’autres chantées, et des soli improvisés, soit instrumentaux, soit chantés.

Les formes chantées du fasl

Kâr : signifie « œuvre » en persan. Pour assurer l’enchaînement avec la première œuvre chantée à sa suite, on choisissait le peşrev qui correspondait au cycle rythmique du kâr. Cette forme, la plus sophistiquée, représentait le chef-d’œuvre de chaque compositeur. Aujourd’hui, elle est complètement abandonnée car ni son caractère majestueux ni sa langue ne correspondent plus au goût des Turcs.

Kârçe et beste : « kârçe » signifie « petit kâr », et suit la longue composition du kâr, lui-même suivi des beste, composés sur des cycles rythmiques (ika) différents. Le mot « beste » signifie en persan « la liaison », en référence au refrain qui se répète entre chaque vers d’un quatrain et les relie.

Le semaï chanté : « sama-î » désigne l’appartenance à l’audition. Cette forme est structurée de la même manière qu’un beste, bien qu’elle s’en distingue par sa structure rythmique : aghir aksak semaï (10/4), aksak semaï (10/8), aghir senghin semaï (6/2), senghin semaï (6/4), yuruk semaï (6/8).

Taksim et ghazel : le taksim est une improvisation sur un makam, avec un ou plusieurs instruments. L’équivalent pour un chanteur qui improvisera librement et de manière non mesurée sur un poème s’appelle « ghazel » ou « kasida », selon le type de poésie.

Les formes instrumentales du fasl

Ce CD présente quelques-unes des pièces les plus intéressantes des formes musicales qui constituent le fasl : les peşrev et les saz semaï.

Le peşrev, « ce qui devance », est un prélude instrumental qui ouvre la suite du fasl, mais aussi les cérémonies des derviches tourneurs. Le style des peşrevs des cérémonies des derviches se distingue par sa composition, créée par des membres de la communauté des Mevlevî (disciples de Celaleddine Rumi), style se manifestant par une interprétation très majestueuse.

Dans les fasl, les peşrevs sont des mélodies plus dynamiques et offrent une grande possibilité d’ornements.

Constitués par quatre couplets (hane) et un refrain (teslim), les peşrevs sont construits sur de grands cycles rythmiques comme tchenber (24/4), ou peşrev devr-i kebir (28/8), muzaaf devr-i kebir (56/4), hafif (32/8), sakil (48/2). A côté de ces grands cycles, le compositeur pouvait aussi en créer de nouveaux en les combinant, les nouvelles formules étant appelées « darbeyn ».

Le saz semaï ou semaï instrumental est joué pour conclure la suite de compositions du fasl, par opposition au peşrev qui en est le prélude. Les saz semaï sont souvent composés sur le rythme aksak semaï (10/8), comme la dernière œuvre chantée du fasl. Ce qui caractérise les saz semaï est le changement de rythme au quatrième hane, la plupart des compositeurs choisissant le rythme yuruk semaï (6/8).

Avec les peşrev, les saz semaï sont les formes instrumentales les plus répandues. 


  • Référence : 321.060
  • Ean : 794 881 747 122
  • Artiste principal : Ensemble Kudsi Erguner (قدسي إرجونر)
  • Année d’enregistrement : 2002
  • Année de fixation : 2004
  • Genre : Instrumental classique
  • Pays d’origine : Turquie
  • Ville d’enregistrement : Paris
  • Langue principale :
  • Compositeurs : Andon Efendi ; Kudsi Erguner ; Dernya Turkan ; Hakan Güngpor ; Kemanî Sâdî Isilay ; Zeki Mehmed Aga ; Tanburî Ali Efendi ; Tanburî Cemil Bey ; Necip Gülses ; Mehmet Emin Bitmez
  • Lyricists :
  • Copyright : Institut du Monde Arabe