Le Sawt de Koweït

Ensemble Al-Umayri

Entre désert et mer, mémoire et modernité, le Koweït s’est forgé au gré des brassages culturel et ethnique, un genre musical citadin dont l’influence s’est étendue au reste du Golfe et à l’Océan Indien : le sawt.
Littéralement « la voix », al-sawt, prononcé « sot », désigne un art vocal caractéristique du Golfe.
Synonyme de tarab (émotion musicale), il se joue principalement lors de veillées musicales enjouées.
Vocalement, ces chants explorent l’immense répertoire poétique arabe classique et dialectal. Sur le plan instrumental, le chanteur soliste joue du luth syro-égyptien et est accompagné par un petit tambour à deux peaux, le mirwâs.
La modernisation du sawt koweïtien est à jamais liée au nom de Abdallah al-Faraj, poète, compositeur et chanteur, auquel plusieurs titres de cet album sont attribués.


Tracklist

1 – Sawt  Shâmî «Wallah»/Par Dieu – 7’52
2 – Sawt °Arabî « qif bit-tawâf »/Tiens toi debout dans le tawâf – 7’03
3 – Sawt °Arabî « as-sihru fî sûdi l-°uyûn »/la magie dans le noir des yeux – 9’26
4 – Sawt Shâmî « arrak shujûnî wa-l-tihâbî »/il a remué mes peines … – 5’20
5 – Sawt °Arabî « qarîb al-faraj »/consolation proche – 7’20
6 – Sawt Shâmî « Bâta sâjî al-tarf »/Celui dont le regard est langoureux – 6’19
7 – Sawt Shâmî « ‘ighnim zamânak »/profite de ta vie – 3’47


Interprètes et instruments

Saleh Hamdane Al-Harbi (direction)
Abdulaziz Muhammad Al-Umayri
Khalifa Muhammad Al-Umayri
Najem Salem Al-Umayri
Salem Khalifa Al-Umayri
Salem Najem Al-Umayri
Thunayan Najem Al-Umayri
Zubair Khalifa Al-Umayri
Sulaiman Muhammad Al-Amari
Muhammad Al-Eidan
Nooh Al-Jarki
Duij Khalifa Al-Muraishid
Abdullah Khalifa Al-Muraishid
Abdullah Mubarak Al-Omayr
Salem Saad Farhan
Abdulaziz Jowhar Marjan


A propos

Au début du XVIIIe siècle, un clan de la tribu ‘Anza, appelé al-‘Atûb, quitta Najd, au centre de l’Arabie, et s’installa à Koweït, qui s’appelait encore Kût Banî Khâled et qui était habité par des Bédouins et des pêcheurs. Deux familles importantes, Âl al-Sabâh et Âl Khalîfa, étaient à la tête de ce clan. La famille Âl-Sabâh finit par s’imposer à Koweït, et fonder sa propre dynastie, en 1756, dirigée par le cheikh Sabâh bin Jâbir, ancêtre de la famille régnante actuelle.

Carrefour de rencontres humaines et d’échanges commerciaux, le Koweït a connu, tout au long de son histoire, un brassage culturel et ethnique qui a contribué à fonder sa société actuelle, sa culture et, plus spécifiquement, sa musique. L’Etat de Koweït compte près de 1 400 000 individus, originaires de la péninsule Arabique, d’Irak, d’Iran, d’Afrique orientale et des autres pays du Golfe, qui sont arrivés par vagues successives au cours des siècles précédents. Depuis la découverte du pétrole, en 1934, il faut y ajouter les nouveaux arrivants des autres Etats arabes et des pays asiatiques.

Les genres musicaux

Les genres musicaux au Koweït sont l’expression des divers modes de vie, liés à la fois aux zones géographiques, le désert, la mer et la ville ; aux activités traditionnelles, la pêche des perles, le commerce maritime et caravanier ; aux différents groupes socioculturels et linguistiques, bédouin arabe, africain et persan, et à la croyance en l’islam.

Entre désert et mer, mémoire et modernité, Koweït s’est forgé une nouvelle vie citadine. Elle s’est développée rapidement depuis la découverte du pétrole et l’essor de nouvelles activités industrielles nécessitant une infrastructure moderne. Dans cette vie urbaine, certains genres musicaux hérités des Bédouins et des chants de marins ont perdu, en un demi-siècle, leur contexte originel, et sont désormais classés dans le folklore national avec une certaine valeur culturelle et artistique intrinsèque. D’autres genres musicaux suivent la même évolution et s’adaptent aux besoins et aux aspirations de la vie urbaine. Le sawt dont il est question dans cet album est le genre citadin par excellence.

Hormis la musique du sawt, on distingue à Koweït différents genres musicaux :
– les chants liés aux travaux des marins, à leurs moments de détente et de distraction. Ils sont désignés par le terme générique nahma ;
– les chants des Bédouins, sâmirî, mjilsî et al-‘arda (chant dansé). Ce dernier, qui était une sorte de défilé guerrier, est devenu une cérémonie citadine, dansé dans différentes fêtes nationales ou religieuses et dans les mariages ;
– les chants religieux, liés aux cérémonies et rituels musulmans, comme la fête de Ramadan, du Mâled ou Mawled (anniversaire de naissance du Prophète) et Al-isrâ’ wal-mi°râj (le voyage nocturne et l’Ascension du Prophète Muhammad) ;
– les chants d’enfants ;
– la tanbûra, rituel thérapeutique du zâr, introduit par les populations originaires d’Afrique orientale ;
– la chanson moderne la plus dominante du point de vue médiatique.

Les origines du sawt

Littéralement la voix, al-sawt (plur. aswât), prononcé « sot », désigne à Koweït et dans le reste du Golfe, l’art vocal caractéristique de cette région du monde arabe. Ce terme était utilisé par les chroniqueurs et les théoriciens arabes du Moyen Age pour désigner les poèmes chantés, comme il apparaît dans Kitâb al-Aghânî (Le Livre des chansons) d’Al-Isfahâni (Xe siècle), et dans le traité musical Kitâb al-Adwâr (Le Livre des cycles) d’Al-Urmawi, théoricien du XIIIe siècle, pour ne citer qu’eux.

Sur les origines du sawt, deux pistes de recherche nous fournissent des informations précieuses. L’une le rattache à la musique et la théorie arabes classiques, entre le IXe et le XIIIe siècle. L’autre situe son apparition autour du XVIIIe siècle, et le présente comme étant une synthèse d’éléments locaux et régionaux.

Selon les sources anciennes, chaque sawt était défini par le titre du poème et son mètre, le poète, le compositeur, le nom du chanteur, le rythme et le mode. Ces caractéristiques sont encore utilisées pour identifier les sawt actuels. Exception faite pour le mode, pris en compte seulement dans les analyses récentes de certains musicologues du Golfe ayant recours à la théorie et la terminologie des maqâmât (modes savants).

Le sawt ancien – comme le moderne – est un poème chanté en solo et accompagné au ‘ûd (luth) par le chanteur lui-même.

La performance du sawt actuel est soutenue par un jeu dansé, nommé zafn, évoqué par Al-Farâbi (872-950) dans son traité Kitâb al-mûsîqî al-kabîr (Grand Traité de la musique) et distingué, en arabe, de la danse (raqs). Al-zafn serait une sorte de déplacement cadencé accompagné de mimiques, « mouvements des sourcils, des épaules, de la tête et des membres ». Une description correspondant globalement à celle du zafn actuel, qui sera reprise textuellement au XIe siècle par Ibn Zayla (mort en 1044) dans son traité Al-Kâfî fî al-Mûsîqâ. Ce témoignage ne peut que confirmer l’héritage ancien d’un des aspects du sawt.

Malgré l’importance de ces similitudes d’usage qui ont permis d’établir des rapports entre le sawt médiéval et le moderne, persiste l’absence, entre le XIIIe et le XVIIIe siècle, de preuves écrites permettant de démontrer une filiation entre les deux genres.

La piste moderne met en relief les éléments introduits dans le sawt à partir du XIXe siècle.

D’après Yusuf Farhân Dawkhi [1] et Ahmad Alî [2], l’existence du sawt a été constatée depuis le XVIIIe siècle à Koweït, où l’on doit sa restauration, à la fin du XIXe siècle, à Abdallah al-Faraj (1836-1903), considéré comme le père du sawt koweïtien.

La tradition du sawt de Bahreïn et de Koweït prend ses racines dans les différentes cultures poético-musicales qui se sont mélangées dans la région du Golfe, grâce à sa position géographique entre l’Afrique et l’Asie et à sa mosaïque ethnique et culturelle encouragée par le commerce maritime. Ces facteurs ont favorisé l’interpénétration de plusieurs courants musicaux, locaux pour le Golfe et l’Arabie, notamment du Yémen et du Hijâz ; et régionaux, pour le Proche-Orient, l’Iran, l’Inde et l’Afrique.

Vocalement, le sawt explore l’immense répertoire poétique arabe classique et dialectal. Pour la poésie dialectale, il puise dans le genre nubtî (poésie du Golfe) et dans le homaynî (poésie du Yémen). Celle-ci, très prisée par les chanteurs de sawt, offre une variété métrique et formelle qui inspire aux compositeurs de nouvelles formes.

Sur le plan instrumental, le sawt adopte le luth syro-égyptien, et pour l’accompagnement rythmique, le mirwâs, petit tambour à deux peaux, importé de Bombay (Inde). Bien que sur certains enregistrements des années 30, l’on puisse entendre le violon à côté du luth, son usage n’était pas systématique.

En plus des données anciennes et modernes, il faut admettre dans la formation de cet art une troisième piste, qui serait une synthèse de la théorie et de la terminologie anciennes d’une part, et de la pratique moderne du XIXe et du XXe siècle d’autre part, laquelle est en constante évolution.

Le sawt

Considéré comme l’art vocal par excellence de Koweït, de Bahreïn et des autres pays du Golfe, il est également synonyme de tarab (émotion musicale). Il se joue lors de séances musicales nommées samra (litt. veillée en compagnie, causerie nocturne) ; c’est une sorte de cercle musico-littéraire privé réunissant amis et mélomanes, ou public, comme les mariages. A Koweït, la samra est un événement social important, préparé à l’avance et pouvant réunir une centaine de personnes. Du fait du grand nombre de participants, les samra sont organisées à l’extérieur de la ville, dans des campements, lors des vacances du printemps, que les gens passent dans le désert. Elles peuvent être commandées par des princes, des notables et des grands commerçants.

La samra possède ses propres règles d’interprétation des différents types de sawt. Le chanteur ouvre la séance par un sawt dit istimâ’ (écoute). C’est une introduction indépendante, chantée pour préparer l’atmosphère et l’attention de l’assistance. A rythme libre (mursal), il est accompagné au luth par le chanteur lui-même. On observe une pause entre l’istimâ’ et les autres formes de sawt, chantées à différents moments de la samra, car le mode de l’istimâ’ est incompatible avec celui du sawt suivant.

Par la suite, le chanteur interprète plusieurs sawt de type ‘arabî et shâmî, construits, la plupart du temps, sur des poèmes d’amour. Puis il conclut la samra par un sawt khatm (final) chanté d’habitude sur un poème comique ou moraliste.

La structure formelle du sawt ‘arabî et shâmî

Le sawt se présente comme une suite vocale et instrumentale dirigée par un chanteur luthiste. Ce dernier commence par une introduction sur le luth à rythme libre, à durée variable nommée taqsîm. Il enchaîne avec un chant à rythme libre (tahrîra), également entonné sur quelques vers d’un poème en arabe classique, ou sur un poème dialectal du Golfe (nubtî), ou encore sur un zuheïrî composé de sept vers rimés aaabbba, en dialecte bédouin d’Irak, et accompagné par le luth.

Ensuite, le chanteur passe à la partie centrale, qui est le sawt proprement dit : c’est un poème chanté en solo ou d’une manière responsoriale (soliste/chœur). Dans ce cas, il est appelé sawt radda et est accompagné par le luth, les mirwâs (tambours) et les battements des mains. Pour conclure, le soliste chante avec les autres membres du groupe la tawshîha, un chant collectif court de deux vers, sur le même rythme que le sawt, mais modulant dans un mode différent. A la fin de la tawshîha,les percussions continuent leur jeu pour soutenir des improvisations instrumentales à caractère virtuose, syncopé et dansant, qui vont clore la suite musicale. Cette dernière n’est pas figée ; selon les circonstances et les interprètes, les introductions peuvent être supprimées, et l’on ne joue que le poème du sawt et la tawshîha.

Le sawt possède une structure fixe du point de vue métrique, mélodique et rythmique, et n’accepte que de menues variations internes liées à l’interprète, sans altérer la forme principale.

L’interprétation du sawt s’accompagne à différents moments d’une danse appelée zafn, effectuée par deux des musiciens.

Dans les sawt radda, la radda (réponse) est un élément structurel important. Elle varie en fonction des poèmes, et peut être conçue sur un mot ou une partie du vers chanté (n° 4), une reprise intégrale de ce que chante le soliste (n° 7) ou bien sur des expressions hors texte sans signification, comme l’expression « ah » (n° 3) ou la suite syllabique « Yâ la dânâ yâ la dânâ yâ la dân yâ la dân yâ la dânâ yâ la dânâ » équivalente au vers chanté (n° 6).

L’accompagnement rythmique

Le rythme dans la tradition du sawt a une telle importance qu’il sert à différencier ces chants les uns des autres. De ce point de vue, le sawt possède deux formes, sawt ‘arabî, sur un cycle à six temps et sawt shâmi, sur un cycle à quatre temps. L’accompagnement rythmique se fait à l’aide du mirwâs. Le cycle rythmique est réalisé d’une manière polyrythmique par les joueurs de mirwâs et les batteurs de mains (kaffâfa).

Ces derniers se répartissent en deux ou trois groupes pour exécuter plusieurs variations rythmiques simultanées, sous la direction d’un meneur, qui veille à la structure des différentes parties, au bon départ des applaudissements, aux moments des silences et des cadences finales.

Les battements de mains (kaff ou tasfîq) interviennent uniquement dans les passages instrumentaux du sawt. Ils parachèvent ainsi la polyrythmie du cycle, enrichissent l’ornementation et le timbre sonore, augmentent la dynamique de la performance et soutiennent la danse zafn.

Le jeu dansé du zafn augmente la joie et la distraction parmi les participants de la samra. Composé d’un ensemble de pas et de mouvements bien codés, il est interprété par deux zâfinîn (sing. zâfin), l’un qui dirige et l’autre qui répond. Voici une description résumée d’après Yusuf Farhân Dawkhi : « Ils se mettent debout face au chanteur et aux percussionnistes (murawwisîn) et commencent tout d’abord par battre légèrement le rythme avec le pied droit, pendant trois cycles rythmiques, tout en accomplissant des vibrations des épaules, des sourcils et de la tête. Après cette base, les zâfinîn reculent, puis avancent vers le chanteur et les percussionnistes à trois reprises ; ils font ensuite le tour de l’espace limité par les musiciens et l’assistance, de droite à gauche, jusqu’à l’extrémité de cet espace, puis ils reviennent vers le chanteur en s’accroupissant devant lui, touchant le sol avec la main droite et se relevant avec un petit rebond. Tout en évoluant, les zâfinîn accompagnent leurs mouvements des épaules, des sourcils et de la tête par des claquements des doigts et de la langue. Le zafn exige de l’originalité, de la gaieté et de l’enjouement de la part des danseurs pour distraire et amuser l’assistance. »

Le sawt appartient au système modal arabe. Il possède une manière spécifique de traiter les maqâm (modes) en développant un ensemble de procédés mélodiques qui s’articulent à la structure rythmique et aux vers poétiques, pour lui donner un caractère distinct des autres genres du monde arabe.

Une autre manière d’interpréter le sawt est propre aux groupes des musiciens populaires professionnels qui animent les fêtes et les mariages. Connus sous le nom al-‘iddah (les instruments), ils ont intégré le sawt à leur répertoire, à côté d’autres formes populaires, comme le sâmirî et le khammârî, qu’ils chantent collectivement d’une manière antiphonale (alternance entre deux chœurs) en s’accompagnant de différents types de tambours ; tambours sur cadre (daff et târ) et tambours cylindriques à deux peaux (tabl). Ces groupes peuvent être formés de femmes ou d’hommes.

L’art du sawt et Abdallah al-Faraj (1836-1901)

L’élaboration et le renouveau du sawt koweïtien sont à jamais liés au nom de Abdallah al-Faraj, poète, compositeur et chanteur. Né et mort à Koweït, il a vécu la plus grande partie de sa vie en Inde, à Bombay, où il a reçu une formation musicale. Il a fréquenté les cercles artistiques et littéraires de la communauté yéménite, très active dans cette ville. Son destin était de rentrer dans son pays d’origine, suite à une faillite financière.

A partir de l’héritage traditionnel du sawt, Al-Faraj a élaboré le nouveau style, profitant de ses acquis en Inde, et mettant également à contribution, selon Yusuf Farhân Dawkhi, les écrits théoriques arabes anciens. Ceci expliquerait peut-être en partie les arguments qui rattachent le sawt à la musique ancienne du Moyen Age, mais aussi aux musiques orientales du XIXe siècle. Al-Faraj a adopté le luth dans l’accompagnement du sawt et s’est inspiré de la terminologie ancienne pour nommer les cordes de cet instrument. « Elles vont de l’aigu vers le grave : Sharâr (étincelle), cette corde correspond à l’élément feu ; Mathânî, la deuxième, elle, correspond à l’air ; Mathâlith, la troisième, correspond à l’eau ; Bâm, basse, correspond à la terre ; et la cinquième corde, Al-râkhî, (détendue). »

Le premier luth utilisé dans le sawt à Koweït était de petite taille, en bois dont la caisse de raisonnance est couverte d’une peau en guise de table d’harmonie. Al-Faraj aurait rapporté ce modèle d’Inde. Ensuite, il a été fabriqué à Koweït jusqu’à son remplacement par le ‘ûd shâmî (luth syrien) ou proche-oriental.

Al-Faraj a établi les bases du sawt en valorisant la poésie, l’élément essentiel du chant ; et en introduisant certains éléments d’accompagnement qui font aujourd’hui partie intégrante du sawt, tels le mirwâs et les battements des mains, ainsi que la danse zafn. Ces bases ont été suivies par ses contemporains et ses successeurs durant le XXe siècle.

Le sawt koweïtien est passé par différentes étapes, selon les musiciens qui se sont succédé dans le courant du XXe siècle. La première est celle d’Al-Faraj et de ses contemporains, comme Ibrahim ibn Ya’qûb, Khaled al-Bakr, Husein al-Zayer et Naser ibn Ya’qûb. Cette génération a transmis l’art du sawt à celle d’après, entre le XIXe et le XXe siècle.

Le premier chanteur de la seconde génération qui a commencé à enregistrer du sawt sur 78 tours fut Abd el-Latif al-Kuweïti (1903-1975), avec la compagnie libanaise Baydaphone, à Bagdad en 1927, puis avec Odéon, au Caire en 1929. Il était alors accompagné par le grand violoniste Sami al-Shawwâ, l’un des piliers de la renaissance musicale au Proche-Orient, et par Mahmoud al-Kuweïti au luth. C’est surtout grâce aux enregistrements de Yousouf al-Bakr, un successeur d’Al-Faraj, et qui est mort en 1955, que le Koweït a pu garder des traces de ce rénovateur du chant koweïtien. Ils ont été réalisés par l’historien koweïtien Ahmad al-Bishr al-Roumi, qui a enregistré plus d’une soixantaine de sawt de Yousouf al-Bakr, en 1953, dans son diwân, où il tenait quotidiennement une séance musicale.

La première moitié du XXe siècle fut très riche en échanges musicaux entre pays du Golfe. Les rencontres entre les chanteurs et musiciens, comme Saqr bin Fâris, Muhammad bin Fâris et Dâhî bin Walid de Bahreïn, et Abd el-Latif al-Kuweïti, Mahmoud al-Kuweïti, Abdallah Fadâla, Dawûd et Salih al-Kuweïti de Koweït, ont été déterminantes dans l’évolution de cet art. L’influence des écoles koweïtienne et bahreïnie s’est étendue au reste du Golfe, jusqu’à l’océan Indien. S’y sont distingués plusieurs chanteurs : Ismâ’îl al-Qatari à Qatar, Rached Sâlim al-Sûri à Oman, le Chérif Hachem et Muhammad al-Sindi en Arabie et Ahmad al-Zinjibari de Zanzibar. Ce dernier, installé à Koweït, a fondé une école dans sa maison en 1945. Il a enrichi le sawt par des nouvelles compositions, tout en respectant la forme classique établie par Al-Faraj. Une de ses compositions figure dans cet album (cf. n° 3).

Le programme de cet album a été enregistré à l’auditorium de l’Institut du Monde Arabe le 12 juin 2001, lors d’un concert donné par l’ensemble Al-‘Umayri, à l’occasion du deuxième Festival de musique de l’Institut du Monde Arabe. Trois chanteurs différents ont interprété chacun une partie de ce programme. Ils étaient accompagnés par un ensemble de percussionnistes et de kaffâfa (batteurs des mains) qui remplissaient en même temps le rôle de choristes.


Détails des enregistrements

1 – Wallah/Par Dieu – 7’52
Tahrîra, chant improvisé sur un poème d’Abû Dhiyyeh à rythme non mesuré, sawt shâmi mesuré sur un rythme à quatre temps, tawshîha (chant collectif modulé). La suite est conclue par une improvisation au ‘ûd mesurée sur le même cycle rythmique que le sawt.

Tahrîra,
« Le beau qui est parti et m’a quitté, m’a abandonné, brûlé dans mon amaigrissement et blessé. »

Sawt shâmi,
« Par Dieu, par Dieu, par Dieu, je ne savais pas
Ce que l’amour ferait de moi.
J’ai déjà composé mille vers par désir pour toi
Des vers qu’Al-Asma’i n’a pu composer
Par passion pour toi, j’ai refusé tout reproche à mon ouïe
Sans toi je ne serais jamais devenu fou d’amour, je n’aurais jamais pleuré
Les larmes n’auraient jamais inondé mes joues
De toi, je me plains à Celui que j’invoque
Car c’est Le Meilleur que l’on puisse invoquer. »

Tawshîha
« Ô Oumma ‘Amr que Dieu te récompense de Sa grâce.
Rends-moi mon cœur où qu’il soit.
Et ne le prends pas pour un jouet
Comment l’être humain peut jouer de son prochain ? »

2 – Qif bit-tawâf/Debout dans le tawâf – 7’03
Bref taqsîm au luth non mesuré, sawt ‘arabî à six temps, chanté sur un poème mystique et un taqsîm final au luth mesuré, sur le même rythme que le sawt.
Le tawâf est une circumambulation circulaire rituelle autour de la Kaaba.

« Tiens-toi debout dans le tawâf et tu verras la gazelle sacrée
Elle a accompli le hajj et s’en retournait à Zamzam (puits sacré)
Si elle se dévoilait, c’est la pleine lune que tu verrais
Plus resplendissante et plus magnifique que la lune brillante
Pendant le tawâf je l’ai vu(e) voilé(e)
Embrassant la Maison Sacrée (la Kaaba) et son coin yéménite.
Je lui ai demandé alors : “Par Dieu, Le Sublime, dis-moi
Quel est ton nom ?” Elle a dit : “De la lignée d’Adam.” »

3 – As-sihru fî sûdi l-‘uyûn/La Magie dans le noir des yeux – 9’26
Bref taqsîm au luth à rythme non mesuré, suivi d’une tahrîra, chant improvisé sur un poème d’Abû Dhiyyeh à rythme non mesuré également. Sawt ‘arabî avec radda (réponse) et un taqsîm final joué au luth ; l’ensemble est mesuré sur un rythme à six temps.

Tahrîra : « Mon cœur s’affaiblit et mes os s’usent par amour pour le beau
Depuis que je l’ai vu il occupe mon esprit.
Je n’aime pas le vieux bois que l’âge a usé
Mais j’aime la jeune branche encore tendre. »

Sawt : « La magie, je l’ai trouvée dans le noir des yeux
Et leurs regards babyloniens m’ont fait boire le filtre
Des yeux langoureux qui ne languissent que pour
Mieux viser et atteindre à travers les côtes celui qui y vit
L’eau pure des ruisseaux paradisiaques est sa boisson
La myrte des bosquets verdoyants est sa nourriture
Il m’a ravi par la magie de ses paupières
Et je l’ai piégé par celle de l’éloquence. »

4 – Harrak shujûnî wa-l-tihâbî/Il a remué mes peines – 5’20
Sawt shâmi avec radda (réponse), tawshîha et un taqsîm final joué au luth ; rythme à quatre temps.

Sawt : « Le souffle doux de la brise du vent, le vent d’est,
A remué mes peines et ravivé mon ardeur.
Du temps où vous étiez mes amis,
Du temps où nous étions jeunes.
Qui t’a appris les jeux de la jeunesse ?
Lève-toi ô branche de bân pour que nous jouions. »

5 – Qarîb al-faraj/Consolation proche –7’20
Taqsîm au luth suivi d’un mwîlî, chant improvisé sur un poème dialectal à rythme non mesuré, sawt ‘arabî, interprété sur un poème soufi d’invocation, tawshîha et improvisation finale, six temps.

Sawt : « Proche est la consolation ô Celui qui éloigne l’inquiétude et le malheur
Qui guérit l’angoisse et efface l’ennui, Sois notre Assistant
Je T’implore par Tâha (le Prophète), al-Zumar (“Les groupes”, 39e sourate du Coran),
La Maison (La Mecque), la Pierre Sublime et Al-Hatîm d’aplanir mes obstacles. »

6 – Bâta sâjî al-tarf/Celui au regard langoureux – 6’19
Sawt shâmi avec radda (réponse), tawshîha et un taqsîm final joué au luth ; rythme à quatre temps.

Sawt : « Celui dont le regard est langoureux a passé la nuit avec le désir persistant
Pendant que l’obscurité continue à déployer ses ailes l’une après l’autre. »

Réponse : Yâ ladâna yâ ladâna yâ ladân yâ ladân dâna yâ ladâna yâ ladâna
 « Ne t’interroge pas sur l’état des amoureux,
Ô mon bon ami, il n’y a pas d’explication à cet état. »

Réponse : Yâ ladâna yâ ladâna yâ ladân yâ ladân dâna yâ ladâna yâ ladâna
 « La vie serait sans goût si elle n’était pas vécue avec une belle personne. »

Réponse : Yâ ladâna yâ ladâna yâ ladân yâ ladân dâna yâ ladâna yâ ladâna
 « Ô combien je soigne mon cœur et ma force diminue,
Et chaque fois que je panse une blessure, une autre s’ouvre. »

Réponse : Yâ ladâna yâ ladâna yâ ladân yâ ladân dâna yâ ladâna yâ ladâna
 « Ô chers convives, ô jours de notre jeunesse,
Y a-t-il un retour pour nous, et une prolongation pour la vie ? »

Tawshîha : « Elle a reçu sur sa main ce que la mienne n’a pu obtenir (d’elle),
un tatouage autour de son poignet qui a réduit à néant ma patience. »

7 – ‘Ighnim zamânak/Profite de ta vie – 3’47
Sawt shâmi à quatre temps, poème épicurien, enchaîné à un chant final de réjouissance, avec radda (réponse).

Sawt : « Profite de ta vie, de ta grâce, ô bien-aimé profite,
Puisque tu es encore jeune, dans l’âge de l’insouciance.
Je crains qu’après tes seize ans tu ne regrettes
Et oublies ta jeunesse, tes amours et moi.
Du miel, qui t’en a octroyé ? permets-nous d’y goûter,
Celui qui t’a fait don de ce nectar t’a aussi attribué autre chose !
Je découvre ta poitrine humant son parfum avec ferveur
Et meurs, là, entre ce sein et l’autre. »

Habib Yammine, ethnomusicologue 


[1] Al-aghânî al-kuwaytiyya (Les Chansons koweïtiennes), Yusuf Farhân Dawkhi, Markaz al-turâth al-sha°bî l-duwal al-khalîj al-°arabî, Doha – Qatar, 1984.

[2] Al-mûsîqâ w-al-ghinâ’ fî al-kuwayt (La Musique et le Chant à Koweït), Ahmad Alî, Koweït, 1980.


  • Référence : 321.041
  • Ean : 794 881 742 523
  • Artiste principal : Ensemble Al-Umayri (مجموعة العميري)
  • Année d’enregistrement : 2004
  • Année de fixation : 2004
  • Genre : Sawt
  • Pays d’origine : Koweït
  • Ville d’enregistrement : Paris
  • Langue principale : Arabe
  • Compositeurs : Abdallah al-Faraj / Ahmad al-Zinjibari / Anonyme
  • Lyricists : Abû Dhiyyeh / Abdallah al-Faraj / Ahmad Shawqi / Anonyme
  • Copyright : Institut du Monde Arabe

Disponible en CD : acheter ici