Le Malhun à Marrakech

Ensemble Amenzou avec Mohamed Suita dit « Boustta »

« L’attrait pour l’inconnu, le fait de s’adonner à quelque chose par goût, par passion, le fait de devenir connaisseur », sont les prémisses essentielles requises pour entrer dans le monde du malhun, un genre de poésie chantée citadine, qui se pratique traditionnellement dans le milieu exclusivement masculin des corporations artisanales. L’art du malhun comprend trois parties : la composition, la conservation et l’interprétation. Chacune de ces activités est exercée par un maître différent. La composition et la conservation sont totalement laissées au hasard de la vocation individuelle. L’interprétation est, en revanche, un métier qui s’apprend. La trajectoire d’un chanteur comme Mohammed Boustta est tout à fait représentative de ce qu’est la formation à cette activité, et des transformations qu’elle a subies, au cours du XXe siècle. Cet enregistrement le présente aux côtés des frères Amenzou, de Mohammed l-Attaui et de Ahmed Bednaui.


Tracklist

1Nezha – 10’51
2Meryem – 16’49
3L-Tbib/ Le médecin – 10’31
4Tamu – 9’48
5L-Saqi / l’Échanson – 15’35
6Fesl l-rbi‘ gebbel / le Printemps arrive – 4’27


Interprètes et instruments

Mohamed Suita “Boucetta” (taarija)
Ahmed Amenzou (derbuka)
Mohammed El Attaoui (taarija)
Mohammed Amenzou (oud)
Mohamed Ait Brahim (violon)
Abdellah Fekhari (violon)
Ahmad Bednaoui (souisdi)
Mohammed Najib Dalal (tar)


A propos

L’entrée dans le monde du malhun commence par un premier pas qui s’appelle l-wala‘, «l’attrait pour l’inconnu, le fait de s’adonner à quelque chose par goût, par passion, le fait de devenir connaisseur». Une fois ce premier pas accompli, on peut soit rester dans le cercle des amateurs ordinaires et, dans la mesure de ses moyens, dans celui des mécènes, soit aller plus loin pour devenir chikh, (maître). L’art du malhun comprend, en effet, trois parties distinctes et complémentaires : la composition, la conservation et l’interprétation. Ce sont là trois activités exercées, chacune, par un chikh différent. La composition et la conservation sont totalement laissées au hasard de la vocation individuelle. Par contre l’interprétation est un métier qui s’apprend.

La trajectoire du chanteur de Marrakech l-hajj Mohammed Boustta est tout à fait représentative de ce qu’est la formation à cette activité, et des transformations qu’elle a subies, au cours du XXe siècle.
Boustta est une personnalité typique du Marrakech populaire. Silhouette en djellaba, bonnet au crochet porté en haut du crâne, babouches, allure relâchée dans une attitude de fausse détente, qui dissimule, sauf pour les Marrakchi-s, une vigilance aiguisée, prête à noter, à retenir tout ce qu’il se passe, se dit ou ne se dit pas! C’est un esprit caustique, un pince-sans-rire avec un sens de la repartie cinglante que ses 70 ans n’ont pas entamé. Cette tournure d’esprit, qui chez d’autres est souvent assimilée à ce que l’on appelle ici tabrgagt, « impertinence, indélicatesse, indiscrétion », Boustta l’a mise au service de son métier de chikh. C’est un maître véritable, un connaisseur sans équivalent de la tradition du malhun dans toutes ses composantes. On peut se rendre à ses avis en toute confiance.

Signe particulier : il est resté célibataire. Le célibat est, comme on le sait, une anomalie dans la société marocaine traditionnelle et une malédiction, fruit de la modernité, dans l’actuelle. Dans le cas de Boustta, c’est à noter, il s’agit d’un célibat volontaire. Il n’en tire aucune gloire. Il n’est simplement pas intéressé par la vie de couple.

Tous les adeptes du malhun, aussi bien les maîtres que les auditeurs, étaient des artisans ou exerçaient des activités rémunérées, assimilées à l’activité artisanale. A passer en revue la génération de Boustta et celle de ses maîtres, on a dénombré des tanneurs, des couturiers, des savetiers, des marchands de beignets, des gargotiers, des courtiers dans l’immobilier.
Deux facteurs modernes ont introduit de grands changements dans le mode de transmission et de diffusion de cet art, qui ne sont pas sans influence sur la carrière des chanteurs du malhun :en particulier, la radio et le mouvement associatif. Boustta est un témoin privilégié des transformations qui en ont résulté, en même temps qu’un produit de ces dernières. En effet, à partir des années de l’après-indépendance, il est devenu possible de vivre du métier de chanteur. Aussitôt il a arrêté son activité d’artisan pour s’occuper uniquement du malhun. « Pas uniquement moi. Tous les chanteurs ont abandonné leurs métiers (il me les cite un à un). Depuis qu’il est devenu possible de vivre de l’activité de chanteur, ils ont tous abandonné leurs métiers d’origine. »
Lui-même a commencé à chanter, en 1956. Devenu alors mulu‘, (adepte), il lui fallait trouver les textes des œuvres, qui sont la base de tout dans le malhun et que l’on ne pouvait trouver que chez des particuliers par relations personnelles. « J’étais devenu mulu‘, mais je n’avais pas de textes à apprendre. Je cherchais les gens du malhun, des personnes pouvant me fournir des manuscrits de textes. Je voulais apprendre par cœur et n’avais rien à mémoriser. Je savais déchiffrer un peu, mais je n’écrivais pas. J’arrivais à déchiffrer un tout petit peu. J’avais fini par apprendre un peu à transcrire. Je pouvais ainsi déchiffrer quand j’avais transcrit moi-même. »
En 1957, Boustta a rejoint une association d’amateurs du malhun, où les chanteurs étaient admis sans obligation d’adhésion, qui organisait des concerts tous les vendredis soir, et qui est toujours active, à l’heure actuelle. « A mes débuts dans le malhun, j’allais aux soirées. C’est dans les soirées du vendredi (jour de réunion de l’association) que je suis devenu vraiment amateur. Ces mêmes soirées qui continuent actuellement, où nous nous retrouvons encore. J’ai commencé à fréquenter l’association, en 57, et en 58, j’ai été rétribué comme chanteur pour la première fois. »
Les associations du malhun des différentes villes entretenaient des relations entre elles et s’invitaient mutuellement. C’est au travers de ces échanges que Boustta a été amené à chanter avec l’orchestre de la radio nationale de Rabat, en 1962; un pas définitif dans la professionnalisation.
Parmi ses confrères aujourd’hui disparus, on citera Taher Amenzou et Mohammed Dalal l-Hsika qui ont eu une trajectoire semblable à la sienne. Tous les deux anciens tanneurs, ils s’étaient professionnalisés dans la musique. Le premier a eu l’idée originale de constituer un orchestre qui proposait des animations de fêtes privées. Du coup, sa maison est devenue une sorte de lieu de répétitions pour les musiciens, double moins solennel du conservatoire municipal. Le second était l’un des grands copistes et fournisseurs de manuscrits de malhun. C’est avec leurs enfants que Boustta, toujours actif à 70 ans, forme le plus souvent équipe.
Au cours du concert organisé, en juin 1999, dans le cadre de l’Année du Maroc, par l’Institut du monde arabe, en partenariat avec l’Abbaye de Royaumont, le groupe de Boustta a donné cinq œuvres d’auteurs très connus.

Hassan Jouad


  • Référence : 321.056
  • Ean : 794 881 742 325
  • Artiste principal : Ensemble Amenzou
  • Année d’enregistrement : 1999
  • Année de fixation : 2004
  • Genre : Malhun
  • Pays d’origine : Maroc
  • Ville d’enregistrement : Asnières-sur-Oise
  • Langue principale : Arabe
  • Compositeurs : Musique traditionnelle
  • Lyricists : Si Thami l-Mdeghti ; Mohammed Ben Sliman ; Tamu de Sidi Qaddur l-‘Alami ; Chikh l-Jilali Mtired ; Musique traditionnelle
  • Copyright : Institut du Monde Arabe

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