Abdel Gadir Salim
On dit que, la nuit, dans le Kordofan, quand monte la clameur d’un chant, ponctué par des battements de mains, au-dessus d’un village, on l’entend à plus de trente kilomètres. Cette région désertique du centre soudanais est le berceau géographique de nombreuses voix, chaudes et puissantes, du pays des deux Nil. Natif du lieu, Abdel Gadir Salim, géant par la taille et le talent, est tenu pour l’un des plus brillants représentants de la chanson urbaine soudanaise. Chef de file d’un courant rénovateur, nommé “ jazz ” sans doute pour des raisons “ instrumentales ” (présence de bongos, de guitare et de cuivres), Salim, en plus d’être un chanteur aux cordes vocales impressionnantes, est un excellent joueur de ‘ûd (luth arabe). Entre langueurs à la manière cairote et frénésie rythmique façon zaïroise, la musique d’Abdel Gadir cultive un particularisme fait des propres métissages d’une vaste contrée caractérisé par une diversité ethnique exceptionnelle.
Tracklist
01 – Rada al-qulayb/Rendez-moi mon tendre petit cœur – 6’55
02 – Bitzîd min fadhâbî/Elle accroît mon supplice – 6’16
03 – Ghannû yà ikhwânî/Chantez ô mes frères – 7’32
04 – Jamîl al-sourah/Le beau visage – 6’44
05 – Ghâba nawmî/J’ai perdu le sommeil – 9’45
06 – Qidrechinna/Mon destin est d’aimer – 9’35
07 – Anâ batrâkî/Je suis sous ton charme – 4’35
08 – Maktûl hawâk/Attaché par ton amour – 6’02
Interprètes et instruments
Abdel Gadir Salim (chant, oud)
Zaki Ali Mohammad Othman (basse)
Mohammad Abdallah Mohammad Abakar (violon)
Othman Hassan Othman (violon)
Mohammad Mostapha Saleh (violon)
Ahmad Abdulbaqi Mohammad Hamed (accordéon)
Abdelhadi Mohammad Nour (saxophone)
Yassir Abderrahim Taha (guitare)
Ibrahim Abdelwahab Othman (percussion)
Al-Zoubeir Mohammad Al-Hassan (percussion)
Kamal Youssef Ali (flûte)
A propos
Essentiellement rurale, la musique soudanaise, s’est lentement urbanisée autour de la radiodiffusion et de l’Institut de la Musique et du Théâtre de Khartoum. Un courant rénovateur, issu de ces deux centres, a tenté d’insuffler un brin de modernité à l’art traditionnel local à coup d’instruments « occidentaux » comme l’accordéon, le violon ou le saxophone. Abdel Gadir Salim est l’un des chefs de file de cette génération de musiciens qui, dans les années 70, a donné naissance à la chanson citadine, sans pour autant renier les sources. Géant souriant à l’allure princière, Abdel Gadir Salim a fait partie du trio d’étoiles modernes soudanaises qui, en 1986, a effectué une tournée européenne, la première du genre pour des musiciens soudanais. Un an auparavant, il s’était produit lors des « Journées des Musiques arabes de Nanterre » face à un public vite conquis par une forme de musique jusque-là inconnue de lui.
Né à El-Obeïd, la première ville-oasis nichée dans le fin fond de la province du Kordofan, Abdel Gadir se destinait à une carrière d’enseignant, mais sa passion pour la chanson en décidera autrement. Bien que dans sa famille, on ne comptât aucun musicien, il s’est initié très tôt au luth, d’abord tout seul, avant de s’inscrire à l’Institut de la Musique et du Théâtre où il effectue cinq années d’études. Il y a appris des notions classiques, mais toute la musique qu’il aime vient du Kordofan. Région désertique à l’ouest du Soudan où l’on pratique l’élevage et terre de passages (on peut ajouter : et de brassages), le Kordofan est peuplé par les descendants des Toundjours islamisés à partir du XIVème siècle et des nomades venus de tous les coins de l’empire arabo-islamique, apportant avec eux les riches traditions de la culture arabe. La rencontre de ces différents horizons avec les autochtones a produit une musique typique, usant d’un parler vernaculaire au niveau de l’interprétation.
Si au pays des deux Nil, l’ensemble de la musique est régi par la gamme pentatonique (en arabe : sullam khumâsi), au Kordofan on joue sur une échelle incluant parfois le quart de ton. Mais c’est surtout du côté rythmique que la différence se fait plus nette avec, notamment l’utilisation du trépidant 6/8 dans les mârdoum (chants et danses de mariages) qui occupent une place importan te dans le répertoire kordofan.
Les compositions d’Abdel Gadir Salim tirent leur inspiration de ce Kordofan tant aimé (il lui a dédié un fameux « Maqtool Hawaki Ya Kordofan » (Ton amour m’a tué, ô Kordofan) et, au tout début, il les chante en solo avec le luth pour tout support. En 1970, il enregistre à la fois pour la radio et la télévision son plus grand titre de gloire, la chanson « Umri Ma Bansa » (Jamais je ne t’oublierai) qui révélera aux Soudanais une part originale d’eux-mêmes. Elle aura le même retentissement que le célèbre standard « Mambo sûdâni » et ouvrira la voie à un mouvement rénovateur mais respectueux de la ligne mélodique d’origine. Entre-temps, Salim fonde le groupe Ail Stars composé de sept musiciens maniant habilement violons, guitare, percussions orientales et occidentales (bongos) et saxophone. Célèbre, il n’en reste pas moins humble et la popularité dont il jouit, il la doit à de multiples facteurs.
D’abord, il inspire la sympathie. Il possède ce je ne sais quoi qui fait de lui un musicien charismatique dont le message passe naturellement. Mais son succès demeure tributaire de sa double démarche : l’une, en rapport avec sa musique, est dotée d’une couleur spéciale, l’autre est lié à ses mélodies moulées dans une simplicité telle qu’une fois étendues, elles se gravent dans les mémoires et deviennent des refrains populaires. Cela n’est pas le fruit du hasard et nous renvoie une fois de plus à son cher Kordofan, berceau de la pensée musicale soudanaise. Abdel Gadir a, en définitive, toujours fait de l’ethnomusicologie sans le savoir et a réfléchi au contenu et à la portée de la moisson qu’il a collectée sur un terrain qui lui est familier : le sien. Ainsi, les chants d’ethnies comme les Baggara et Abbala sont tenus pour des références tangibles de son expression musicale. Glanés sur le tas, ils constituent son fonds personnel où il n’hésite pas à puiser. Il transpose toutefois le résultat de ses recherches dans l’esprit de la chanson : chants de réjouissance, d’amour, fonctionnels, de femmes, tout ce qui a été engrangé dans la mémoire du Kordofan devient sa manne qu’il reproduit à sa manière. Mais ce qui surprend – ces ethnies vivant très loin des frontières du monde arabe – c’est que certaines d’entre elles s’expriment en langue arabe et, mieux, que le système musical qui les structure n’est pas toujours celui qui prédomine au Soudan, à savoir le pentatonisme. Dans certaines régions du Kordofan, des systèmes tétracordaux (en arabe ajnàs), formant la base de la musique arabe en général, survivent encore. C’est donc ici que les chansons de Salim diffèrent de celles que l’on entend d’ordinaire au Soudan, car elles relèvent parfois d’une structure autre et donc d’une couleur musicale particulière. Autre particularité, un rythme spécifique à cette région sus-évoquée, le mardoum. Ce terme désigne une mesure a trois temps rapides, quasi emblématique du Soudan, nommée ainsi sans que l’on sache sa signification exacte. On sait seulement qu’il s’agit d’une musique entraînante et swinguante.
Chanteur de marque installé définitivement à Khartoum, Abdel Gadir Salim s’accompagne au ‘ûd. Mais parmi ses multiples activités, il a aussi rédigé quelques pages publiées en 1992 où il s’est livré à un brillant plaidoyer en faveur des musiciens. Il y a esquissé également une véritable planification musicale pour l’avenir de son pays. Il est vrai qu’Abdel Gadir vit dans un milieu social où se côtoient toutes sortes d’individualités mises en valeur par le syndicat des musiciens qu’il fréquente assidûment
Fondé en 1951, le Râbiat al-fannànîn (telle est sa dénomination en arabe) a son siège dans une vaste demeure à Oumdurman, face au Nil. Dès la tombée de la nuit, les musiciens, dont Salim, s’y retrouvent pour deviser, discuter, siroter un thé, s’échanger des nouvelles ou colporter des anecdotes. Abdel Gadir se reconnaît de loin à son ton, son exubérance, sa prestance. Les professionnels se rassemblent dans ce lieu convivial surtout pour une autre raison et non des moindres : c’est là qu’on vient les chercher et qu’on les engage pour animer une fête, généralement un mariage, dans un endroit huppé ou populaire, dans des maisons privées ou dans des cafés qui surplombent le Nil.
Abdel Gadir Salim représente ce qui est nommé en Occident la chanson urbaine qui s’est développée à Khartoum à partir de l’indépendance. Ses vrais débuts datent de 1972 et d’un premier succès national intitulé « Al-ümuni ». Souvent, cette chanson urbaine se caractérise par des réminiscences de jazz au point de la connoter sous l’appellation « jazz soudanais ». En fait, ce type de chanson est tout simplement al-ughmÿa al-haditha (chanson moderne ou actuelle). Les Soudanais distinguent la production musicale contemporaine à travers deux grands courants historiques. Le premier, connu sous le nom de haqibat al-fann (Le chant de la mallette), renvoie à un genre apparu en 1955 à travers une célèbre émission de radio et dont le style dit « tanbùr » devait s’imposer dans les autres villes importantes du pays entre 1919 et la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce fut la première, bien que timide, tentative d’urbanisation du chant rural au moyen de l’accompagnement de percussions et ce mouvement a réalisé le lien idéal entre la tradition et la modernité.
Le deuxième courant est celui qui s’est développé par le biais de petits ensembles entourant le chanteur. Ici dominent les violons, le saxophone et l’accordéon. Cette ughniya al-hadîtha se démarque de la précédente par l’introduction, au milieu des années 40, du ‘ùd, le luth arabe qui devient vite l’instrument de prédilection de tous les chanteurs locaux.
Christian Poché
- Référence : 321.027
- Ean : 794 881 477 029
- Artiste principal : Abdel Gadir Salim (عبد القادر سالم)
- Année d’enregistrement : 1999
- Année de fixation : 1999
- Genre : Blues
- Pays d’origine : Soudan
- Ville d’enregistrement : Paris
- Langue principale : Arabe
- Compositeurs : Abdel Gabir Salim
- Lyricists : Fadili Jumâ’ ; Qâsim ‘Uthmân ; ‘Abd Allah al-Kâzim ; Musique traditionnelle
- Copyright : Institut du Monde Arabe
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