L’Appel des oasis

L'Appel des oasis

Compagnies musicales du Tafilalet

Oasis située en plein Sahara, à la jonction des oueds Ziz et Rhéris qui prennent leur source dans le Haut-Atlas, la région du Tafilalet a été onze siècles durant l’ultime étape des caravanes venues du sud.
Carrefour des civilisations berbère, arabe, africaine et andalouse, la musique du Tafilalet témoigne de ce croisement des cultures, en particulier par la variété des instruments auxquels elle recourt : instruments à cordes traditionnels mais aussi luth, mandoline, violon, guitare, banjo ou encore accordéon et percussions diverses. Le genre le plus représentatif, une musique chantée appelée baldi, dit l’amour, la foi, la fête et la mémoire.
Ce disque donne à entendre quatre compagnies musicales du Tafilalet qui puisent leur inspiration tout à la fois dans la tradition et dans la modernité.


Tracklist

Cie Jellouli & Gdih
1Al jbal li dargoug aaliya/Ces montagnes qui te cachent de moi – 7’47
2Al-Maya/Pièce instrumentale – 5’48

Cie Meskaoui
3Ayami Yami/Ainsi va ma vie – 9’36
4 – Improvisation instrumentale – 9’02

Cie El Hashemi Nhass
5Al Kaouini/Brûlure d’amour – 9’47
6 – Improvisation instrumentale pour flûte et violon – 5’02

Cie El Hamri
7Ya rijal l’bled/Les saints de la région – 8’29
8Bla seba bla sebab/Sans motif, sans rien – 8’29


Interprètes et instruments

Cie Jellouli & Gdih
Mohamed Jellouli (oud)
Hassan Mouloudi, dit « Gdih » (snitra)
Rachid Kassimi (accordéon)
Abderrahim Bouhamidi (taarija)
Abdelouahed Jellouli (tbilat)
Hassan Al Oudi (derbouka)

Cie Meskaoui
Mouloud Amrimi, dit « Meskaoui » (oud)
Mouloud Laarmirni (Guitare)
Ali Bouramdan (darbouka)
Ali Bouramdan (darbouka)
Alouazani Hitouri (tbilat)
Hmat Ait Brahim (Jar)

Cie El Hashemi Nhass
El Hashemi Nhass (bendir)
Mohammed Mhida (bendir)
Salem El Jorfi (violon)
Hocine El Gssab (taarija)
Aït Abdenabi (taarija)
Abderrahim Rzouki (derbouka)

Cie El Hamri
Charif El Hamri (snitra)
Mohamed Boughriss (oud)
Ali Tetouch (tar)
Abdelouahed Maskoul (taarija)
Hassan Aalita (darbouka)


À propos

Le Tafilalet est une sorte de petite Mésopotamie à la jonction de deux oueds, le Ziz et le Rhéris, qui prennent leur source dans le Haut-Atlas. C’est de leurs crues rares mais dévastatrices que, jadis, dépendaient les cultures. Aujourd’hui, le barrage Hassan Addakhil, situé à Er-Rachidia, à 80 km au nord de l’oasis, maîtrise les eaux du Ziz et permet une irrigation régulière de cette vaste palmeraie d’un million d’arbres, au pied desquels les Filali-s (habitants du Tafilalet) cultivent légumes, fruits ou orge. Chaque année, en octobre, la récolte des dattes (dont la fameuse majhoul) fournit le prétexte à des réjouissances à Erfoud, gros bourg de 5000 habitants construit au temps du protectorat français, qui conserve de cette époque un plan quadrillé, de vastes rues bordées de tamaris et des maisons en pisé rouge.

Le Tafilalet a joué un rôle essentiel dans l’histoire politique et économique du Maroc. En témoignent les ruines de Sijilmassa, ex-capitale florissante, dès le viiie siècle, d’un royaume fondé par les Berbères zénètes. Quant à la ville de Rissani, elle a été onze siècles durant l’ultime étape de caravanes arrivant du Sud, avec leurs chargements de métaux précieux, d’ivoire, d’ébène, d’épices et leurs convois d’esclaves. Cette région-carrefour que se disputèrent nombre de dynasties peut se prévaloir d’être le berceau des Alaouites, comme l’atteste, à Rissani, la présence du mausolée de son fondateur, Moulay Ali Chérif, élevé en 1640. Ce prestigieux passé a hélas été mis à mal par les crues, l’envahissement sablonneux, le déboisement et l’exode rural.

Cette riche histoire, la musique du Tafilalet, au croisement d’influences berbères, arabes, andalouses et africaines, en témoigne pour l’essentiel via le malhûn (poésie chantée), qui se codifia dans cette région dès le xiie siècle. Les successeurs des premiers maîtres, émigrant vers les cités du Nord, permirent au genre de se développer, fort de l’engouement des communautés d’artisans, puis d’acquérir de nouvelles dimensions au contact d’autres disciplines. Sa rencontre avec le ghazal andalou, le muwashshah et la poésie classique insuffla au malhûn une légitimité nouvelle auprès des citadins et des érudits, en même temps que son acquisition de nouveaux thèmes, mètres, rythmes et d’une versification plus sophistiquée. Les zaouïa-s (confréries religieuses et lieux consacrés à la foi d’inspiration soufie) favorisèrent également son vigoureux essor.

Dans le Tafilalet, la musique locale contemporaine est appelée al-baldi etse ramifie en trois branches principales, toutes trois chantées : la première est accompagnée au luth, la deuxième est soutenue par la snitra, sorte de mandoline du cru appelée « l’Algérie » du nom de son lieu d’origine – ce pays voisin que fréquentèrent nombre d’hommes du Tafilalet allant travailler dans les mines –, la troisième est accompagnée par de grandes flûtes et comprend particulièrement un corpus de chansons de Jrafa (région du Jorf à 15 km d’Erfoud). Il existe également des formules hybrides pouvant marier le luth oriental/’ûd avec la snitra voire avec le clavier électronique, modernité oblige.

Bien que les rythmes diffèrent d’un registre à l’autre, les chansons traitent pour l’essentiel de quatre grands thèmes : la foi, la société, le plaisir et la fête et enfin l’histoire. Les paroles sont basées sur la qasîda, dont les phases d’exécution consistent en un prélude instrumental suivi de différentes parties de couplets chantées en solo et entrecoupées de refrains, ou de refrains repris entre les couplets. Le prélude de rythme libre, ou taqsîm, est introduit au luth ou au violon par le chanteur soliste avant que l’orchestre n’intervienne pour accompagner le chanteur. Enfin est interprétée une pièce instrumentale finale appelée al-maya.

Les premiers enregistrements de la musique du cru qui ont été retrouvés évoquent ceux de Moulay Ali Ben Al Masbeh, plus connu sous le nom de Moulay Ali Al-Filali. Sa chanson « Al jbal li dargoug aaliya » (Ces montagnes qui te cachent de moi), un archétype du genre,fait référence à l’amour qu’il portait à une Berbère de l’Atlas. Le père de la musique baldi eut pour héritier spirituel le luthiste Mouloud Al-Kaoui, fort apprécié dans les célébrations de mariages pour sa voix mais aussi pour sa complice, une dénommée Zegoud qui – ce qui ne laisse pas d’étonner dans cette région alors conservatrice – chantait et dansait, certes, mais fumait et buvait aussi sans complexes au milieu des hommes. Une troisième personnalité a fortement contribué à la formalisation de la chanson baldi ; il s’agit de Baâout, qui remit au goût du jour de nombreuses qasîda-s du passé. Ce grand chanteur et danseur mourut en plein concert, ce que ne manque pas de rappeler la vox populi, en interprétant sa célèbre chanson « Li mat b‘il ghiouan kabrou ghiyrouh » (Celui qui est mort de la musique, sa tombe doit être distinguée). Ces trois grandes figures du baldi restent les références majeures des ensembles musicaux d’aujourd’hui, comme en témoigne cet enregistrement.

Avec sa place centrale, où se tient quotidiennement un souk, sa foule pittoresque coiffée d’énormes turbans de cotonnade blanche, couvre-chefs préférés des Sahariens, Erfoud, situé à 937 mètres d’altitude au pied du djebel Erfoud, sur la rive droite du Ziz, est devenu le point de départ de nombreuses excursions dans ce Tafilalet riche en ksour, douars, casbahs aux remarquables architectures et dunes majestueuses. C’est là qu’en août 2002 a été organisé par le centre Tarik Ibn Zyad et le Mihad Market (respectivement en la personne d’Hassan Aourid et de Mohamed Aourid) un premier rendez-vous musical ayant pour ambition de faire découvrir un patrimoine local mal connu et de le dynamiser par une présentation de ses artistes les plus significatifs. Parmi les compagnies musicales rassemblées, quatre formations ont retenu l’attention des organisateurs et ont été enregistrées : la compagnie Jellouli & Gdih, la compagnie Meskaoui, la compagnie El Hashemi Nhass et la compagnie El Hamri. Elles donnent une idée assez fidèle des couleurs sonores locales et mettent en œuvre, soit des instruments à cordes comme le luth, le violon kamanja (qui se joue posé verticalement sur le genou), le petit luth suissen au son aigu et sec ou le hajhouj au son plus grave, de la famille du fameux guenbri, soit des instruments à percussions, à l’instar de la darbouka, du tbilat, des cymbalettes de cuivre et, bien sûr, de la taârija, instrument clé des chanteurs solistes (munshid) et des choristes (ch‘ur ou reddâda). Citons également des instruments plus contemporains adaptés aux modes locaux, comme ici la guitare, l’accordéon ou le banjo. 

Le deuxième rendez-vous de ce qui devrait devenir un festival est annoncé pour l’année 2004.

Frank Tenaille, journaliste


Détails des enregistrements

1 – Al jbal li dargoug aaliya/Ces montagnes qui te cachent de moi – 7’47

“ Ces montagnes te cachent de moi,
Soyez clément
Si la mort me vient subitement,
Enterrez-moi au bord de la route
Que ma bien aimée passe, elle reconnaîtra ma tombe ”

2 – Al-Maya/Pièce instrumentale – 5’48

3 – Ayami Yami/Ainsi va ma vie – 9’36

4 – Improvisation instrumentale – 9’02

5 – Al Kaouini/Brûlure d’amour – 9’47

6 – Improvisation instrumentale pour flûte et violon – 5’02

7 – Ya rijal l’bled/Les saints de la région – 8’29

“ Ô saints de la région, je suis sous votre protection
Ô, si vous me l’aviez dit avant
Ce n’est pas la mort qui me dérange 
Ce sont les gens que je laisse ”

8 – Bla seba bla sebab/Sans motif, sans rien – 8’29

“ Sans motif, sans rien 
Ô toi tu as déserté
Sans motif, sans rien 
Ô toi tu t’es suicidé ”


  • Référence : 321.061
  • Ean : 794 881 750 726
  • Artiste principal : Compagnies musicales du Tafilalet (فرق موسيقية لمنطقة تافيلالت)
  • Année d’enregistrement : 2002
  • Année de fixation : 2004
  • Genre : Malhun
  • Pays d’origine : Maroc
  • Ville d’enregistrement : Tafilalet
  • Langue principale : Arabe
  • Compositeurs : Collectif compagnie Jellouli & Gdih ; Collectif compagnie Meskaoui ; Collectif compagnie El Hashemi Nhass ; Collectif compagnie El Hamri
  • Lyricists : Collectif compagnie Jellouli & Gdih ; Collectif compagnie Meskaoui ; Collectif compagnie El Hashemi Nhass ; Collectif compagnie El Hamri
  • Copyright : Institut du Monde Arabe