Chants des Aurès

Ali El Khencheli

Tenu pour l’un de plus grands chanteurs des Aurès, Ali El Khencheli, bien que très âgé (il est né en 1914), se distingue par une incroyable puissance vocale.
Accompagné par deux flûtes en roseau et des percussions, il perpétue une tradition berbère chaouïa qui ne tolère aucune “luxuriance” d’interprétation susceptible d’affaiblir une métrique confirmée et impose à l’artiste un dénuement de fioritures pour la mélodie. Le charme des chansons, tournant thématiquement autour de la vie sociale et de l’état amoureux, réside dans leur sobriété et le tout est porté par la voix d’El Khencheli, tour à tour enjôleuse et mélancolique, jusqu’à frôler la douleur.


Tracklist

1Lali abar wa yessir/Le passant – 5’42
2Kijina men Aïn Mlila/Quand nous sommes venus d’Aïn Mlila – 5’45
3Ayache a memmi/Ayache, mon fils – 6’03
4El h’wa wwa dhrar/Le vent des montagnes – 4’43
5El bahri jebba/Le vent du nord souffl – 7’39
6 – Solo de flûte (gasba) – 3’21
7Assalah ou ‘ami/Salah, mon cousin – 7’53
8Kharjat men l’hammam/Elle est sortie du hammam – 8’07
9Hezzi ‘ayounek/Lève les yeux – 5’47
10‘Ajbouni ramgat ghzali/Les yeux de ma gazelle m’ont séduit – 5’50
11Maaraka /Bataille – 5’21
12Ma lebestek men lahrir/Je t’ai tant couverte de soie – 7’18


Interprètes et instruments

Ali El Khencheli (chant, bendir)
Sahraoui et Slimane (gasba)


A propos

Kaïs, le village urbanisé où vit aujourd’hui Cheikh Ali El Khencheli, est situé à une cinquantaine de kilomètres de Khenchela, en plein pays berbère chaouïa. Il se rattachait jadis à la commune mixte de Khenchela et ressemblait, dans sa morphologie et son organisation sociale, aux autres villages de l’Aurès.

Selon la configuration de Léon l’Africain, l’Aurès déborderait de loin sa géographie linguistique actuelle. Le quadrilatère Batna-Khenchela-Biskra-Khangat Sidi Nadji délimite un territoire où vivent des populations qui descendent de tribus fort variées. Les souches chaouïas ne sont plus nombreuses. Dans l’oued Abdi, qui reste la région la plus berbérisée de l’Aurès, on compte aujourd’hui beaucoup de tribus arabes berbérisées, comme les Bni Bou Slimane.

Le terme chaouïa, apparu à peu près au xive siècle, a en arabe le sens de “ pasteur ”. Bien que les Chaouïas soient des éleveurs de moutons, leur mode de vie reste très sédentaire. Les thaquelathin (villages) de l’Aurès sont construits sur des pitons, comme en Kabylie. L’organisation juridique et sociale est régie par la jama‘a, composée d’imokranen (assemblées d’anciens de moralité et d’ascendance nobles), élue ou désignée par un ensemble de tribus.

Le dialecte berbère de l’Aurès, deuxième d’Algérie par son importance démographique, a tendance à se raréfier, et les jeunes générations ne le pratiquent plus. Quatre grandes zones d’influence linguistique existent encore : à une trentaine de kilomètres de Constantine, la zone qui va d’Aïn M’lila et de Khroub à Oum El Bouaghi et à Aïn El Beïda est considérée comme le territoire des Herakta. Les Nemencha et une partie des Hanencha se trouvant au sud de Khenchela et de Tebessa délimitent la deuxième zone. L’Aurès d’Ouled Abdi, les gens de Nara et de Menaa, et anciennement les Touaba et les Aoudça, les Daouaouda et les Oudjana dans le Chéléa circonscrivent une troisième zone. La quatrième zone, la moins berbérisée, se trouve à l’ouest de Batna en remontant vers Sétif.

Les parlers chaouïas sont très proches de ceux du reste de l’Algérie. Le phonétisme chaouïa présente les caractéristiques générales des parlers berbères de l’Afrique du Nord, à savoir un système vocalique ternaire (a, i, u) sans opposition de durée, avec une voyelle centrale neutre non phonologique et un système consonantique dont la spirantisation généralisée des occlusives est marquée dans un certain nombre de morphèmes par un simple souffle laryngal (h).

Dans les chansons en berbère chaouïa de cet enregistrement, le mélange de l’arabe et du berbère apparaît de plus en plus fréquemment, de même que des formes syntaxiques ne correspondant pas aux règles du dialecte chaouïa. À ce sujet, Cheikh Ali El Khencheli évoque le fait que la spontanéité des chouara (poètes-compositeurs) — dont lui-même fait partie — impose un mixage entre l’arabe et le berbère qui, certes, déforme ces règles mais donne une puissance de diction et une poésie évidentes.

La formation musicale et le chant

Dans l’Aurès, la formation musicale traditionnelle ne dépasse guère les quatre interprètes : deux gassab et deux percussionnistes dont l’un est chanteur.

La gasba est une flûte oblique en roseau qui comporte sept trous antérieurs et, rarement, un trou postérieur. Ce dernier n’est utilisé que pour l’interprétation des airs qsentini (constantinois). Grâce à un système de débouchage et de rebouchage des trous avec de la cire, la gasba est un des rares instruments à vent “ accordables ”. Ce système permet d’obtenir des tonalités qui correspondent le mieux à la tessiture vocale du chanteur et des intervalles facilitant la justesse des échelles des différents hwawat (airs/modes). Dans des régions très différentes, la technique du souffle circulaire est quasi générale. Celle-ci permet d’économiser le souffle, d’obtenir un son continu ainsi qu’un bourdonnement spécifique à certains airs.

Les chanteurs chaouïas reconnaissent trois grandes “ écoles ” : celle d’Aïn El Beïda, représentée jadis par Aïssa El Jarmouni, où l’on dénombre les hwa (modes) khrouef, amari, harkati, etc ; celle de Batna et d’Arris où dominent les modes soltani, belbekey et fatni, et celle de Khenchela où presque tous les airs sont pratiqués. On compte plus de vingt ayta (vocalises) dont le rakrouki (genre libre non mesuré) et le merouani de la région de Tebessa et de Souk-Ahras ; le mejani et le sraoui de Sétif ; le qsentini du Nord, dominé par le grand chanteur Brahim Echouaï ; l’abdaoui, style purement chaouïa ; le barbai, de Chichar Taberdgua, tout près de Khenchela, genre instrumental utilisé pour la danse.

Ce sont en général les chansons qui déterminent les airs modaux. Toute chanson est précédée d’une tesriha (mélodie semi-improvisée) qui confirme l’air et donne l’occasion au chanteur de pratiquer des syah (chants provocateurs qui mettent en rivalité les invités de tribus différentes afin de bénéficier du rechq, une somme d’argent).

Danses et chants des Aurès et de Khenchela

Il existe plusieurs genres de danses qui accompagnent la chanson chaouïa. Surtout pratiqué en famille, le terhab est une danse collective qui rassemble un groupe d’hommes et un groupe de femmes. Face à face, ils alternent les paroles d’une chanson. Pour la danse professionnelle, c’est la danseuse azrya des Ouled Abdi qui reste la plus recherchée pour sa beauté et son statut de femme libre. Sa danse, très belle, se pratique individuellement.

À Khenchela, une danse locale appelée trig-esaf (“ l’alignement ”) regroupe douze femmes dansant les mêmes pas que ceux de l’abdaoui des azryat. Une autre danse, dite barbari, se pratique avec les musiciens. Avant d’entrer en scène, chaque danseuse, couplée à un des trois musiciens, guette la richa ou noqta (timbre, modulation) qui la stimule le plus. À ce moment, le flûtiste pratique un rythme lent (yethaquel) et autorise la danseuse à entrer sur scène (yektaa). C’est à son signal que la danseuse qui lui est couplée doit revenir à son côté. Les deux autres couples doivent rivaliser pour aboutir à la fin à un jeu et à une danse collectifs. La musique est très variée et se compose essentiellement de deux parties : une grande pause (tesriha kbira) et une petite pause (tesriha sghira), déterminant chacune des modes et des rythmes différents.

Taoufik Bestandji

Détails des enregistrements

1 – Lali abar wa yessir  (Le passant), chanson en chaouïa

2 – Kijina men Aïn Mlila  (Quand nous sommes venus d’Aïn Mlila)
Chanson patriotique aurésienne anonyme en chaouïa. L’auteur fait éloge au courage des jeunes maquisards pendant la guerre d’Algérie.

Kijina men Aïn Mlila seb‘ïam ‘ala rejlina
El batogase kataa rejlina wa w’çalna l’aourès s’ken bîna
Zouj dhrari chagou lejbel hezou lebiassa wa zedou errafal
Awwal dharba gassou lichar et‘khali ya hamouda nejma wa h’lal

Quand nous sommes venus d’Aïn Mlila
Au bout de sept jours de marche
Les chaussures ont déchiqueté nos pieds
Et nous sommes arrivés dans l’Aurès qui nous a protégés
Deux garçons ont rejoint le maquis
Ont pris une pièce d’artillerie et ont tiré des rafales
Du premier coup, ils ont atteint le char
Ton martyr, ô Hamouda, servira l’étoile et le croissant (le drapeau algérien).

3 – Ayache a memmi  (Ayache, mon fils)
Cette chanson, en langue berbère, parle d’un garçon nommé Ayache qui a quitté sa mère pour rejoindre le maquis. Sa mère, s’étant rendue auprès d’une stèle votive à Tbikaouine, interpelle les esprits pour protéger son fils. La suite de la chanson évoque une déception amoureuse.

A‘Ayache a memmi enzourat Tbikaouine
Magrounet el hwajeb aberkane Etitaouine
Magrounet el hwajeb wa kahl el ayoune
Ache wrak enchaabouth amezianet ellegmoume…
Ayache, mon fils, j’irai à Tbikaouine

Ses sourcils sont bien arqués et ses yeux sont noirs
Ses sourcils sont bien arqués et ses yeux sont noirs
Qu’est-ce qui t’attend, ô fille au joli cou ?

4 – El h’wa wwa dhrar (Le vent des montagnes), chanson en chaouïa

5 – El bahri jebba (Le vent du nord souffle), chanson en chaouïa

6 – Solo de gasba (flûte)

7 – Assalah ou ‘ami (Salah, mon cousin), chanson en chaouïa

8 – Kharjat men l’hammam (Elle est sortie du hammam), chanson en arabe
Cette chanson satirique a été composée par Ali El Khencheli en 1949. Le producteur de ces enregistrements, saisissant bien le sens de la satire politique, convoqua les services de renseignements qui, après maintes tractations, autorisèrent l’auteur à enregistrer.

Kharjat men l’hammam t’souje
El khalkhal iyguerbaa fi rejlihaa
Et’kahal wa t’souak wa t’hammar
Wa khat essouak’ala sennihâ
Barkey men t’khalkhil el h’zam
Rahi Dzaïr adhabtiha

Elle est sortie du hammam, se pavanant
Les anneaux tintent à ses pieds
Elle se maquille les yeux et la bouche
Et la trace du s’wak apparaît sur ses dents
Arrête de faire vibrer ton ventre
L’Algérie, tu la tortures

9 – Hezzi ‘ayounek (Lève les yeux), chanson en arabe

10 – ‘Ajbouni ramgat ghzali (Les yeux de ma gazelle m’ont séduit), chanson en arabe

11 – Maaraka (Bataille) pièce instrumentale avec deux gasbat (flûtes)
La bataille est une métaphore qu’utilisent les flûtistes chaouï pour exprimer un jeu alterné dans lequel chacun doit montrer ses performances. Sur un même mode, tous deux doivent ensuite, ensemble, jouer le final qui apparaît alors comme une réconciliation.

12 – Ma lebestek men lahrir (Je t’ai tant couverte de soie), chanson en arabe


  • Référence : 321.024
  • Ean : 794 881 472 222
  • Arstiste principal : Ali El Khencheli
  • Année d’enregistrement : 1999
  • Année de fixation : 1999
  • Genre : Chanson bernère
  • Pays : Algérie
  • Ville d’enregistrement : Paris
  • Langue : Chaouïa
  • Compositeur : Ali El Khencheli ; Sahraoui et Slimane ; Musique traditionnelle
  • Lyricists : Ali El Khencheli ; Musique traditionelle
  • Copyright : Institut du Monde Arabe

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