Athar

Athar

Khaled Aljaramani

Quelque part entre deux mondes, entre le rêve et la réalité, entre le ciel et la terre, entre l’absolu et le relatif ou entre la vie et la mort… se trouve une zone de sentiments que le langage populaire syrien désigne par halât ar-rûh, états de l’âme. Cet enregistrement a puisé dans cette sphère émotionnelle. « Ce oud qui crie, ce oud qui chuchote et qui murmure, est-il seulement fait de bois et de cordes ? », s’est interrogé Khaled Aljaramani en enregistrant Athar (Traces).


Tracklist

1 Dhilâl/Ombres – 6’54
2 – Luqya/Trouvaille – 8’25
3 – Farah/Joie – 4’56
4 – Samâꜥî Bayât/Improvisation dans le mode Samâꜥî Bayât – 6’44
5 – Athar/Trace – 5’40
6 – Nawâ/Eloignement – 5’57
7 – Taqâsîm Rast/Improvisation dans le mode Rast – 6’49
8 Khayl wa khayâl/Cheval et songe – 8’18


Interprètes et instruments

Khaled Aljaramani (oud)


À propos

Quelque part entre deux mondes, entre le rêve et la réalité, entre le ciel et la terre, entre l’absolu et le relatif ou entre la vie et la mort… se trouve une zone de sentiments que le langage populaire syrien désigne par halât ar-rûh, états de l’âme. Cet enregistrement a puisé dans cette sphère émotionnelle. « Ce oud qui crie, ce oud qui chuchote et qui murmure, est-il seulement fait de bois et de cordes ? », s’est interrogé Khaled Aljaramani en enregistrant Athar (Traces).

Portrait

Musicalement, l’idée de nation est une idée morte. A des dates différentes selon les cultures, sans qu’une date précise ait du sens. En Europe, peut-être en 1945. Car que peut bien encore signifier dans la seconde moitié du XXe siècle. le concept de musique française, de musique allemande, ou de musique espagnole ?

Dans le monde arabe, où l’idée nationaliste a servi de vecteur contre la colonisation occidentale, la désincarnation du nationalisme musical est plus tardive, dans un mouvement entamé dans les années 1980 et qui n’est pas encore terminé.

Depuis la fin des années 1990, la mondialisation vient accélérer ce processus, quelle que soit la géoculture, en dissociant territoire et esthétique. Désormais, l’imaginaire des populations et des artistes ne se confond plus avec un territoire. L’équation : 1 nation=1 territoire=1 culture=1 imaginaire, vole en éclats.

Dans le cas de la Syrie, le territoire abrite depuis la fin de l’Empire ottoman une mosaïque de cultures et de religions. C’est déjà un pays multiple, que cette multiplicité même prédisposait à une forte réceptivité aux évolutions musicales. Les musiciens sont particulièrement sensibles aux forces profondes qui travaillent la société où ils construisent leur œuvre. Si la Syrie est aujourd’hui dans une rupture de crise, les plus sensitifs de ses artistes, vibratiles comme la peau d’une percussion, ont devancé l’événement.

Depuis une dizaine d’années, on voit comment Khaled Aljaramani a forgé un imaginaire qui échappait de plus en plus aux normes de la « musique arabe » ou de la « musique syrienne ».

Son compagnonnage avec Serge Teyssot-Gay depuis 2003/2004 l’a amené à tisser un langage commun entre oud et guitare électrique, pour aboutir à ce chef d’oeuvre qu’est Interzone (2006). L’expérience Maqams et création proposée par la Fondation Royaumont (2005) lui a confirmé que les structures des maqam, modes musicaux vus comme le parangon de l’identité musicale arabe et de son histoire passée, peuvent servir de langage commun à des musiciens, du Pamir à l’Andalousie, pour des créations imaginées dans le présent.

Le printemps arabe fait craquer les régimes, mais les imaginaires avaient craqué avant les régimes. Dès la fin des années 1980, un Anouar Brahem échappait à l’idée de musique tunisienne, et depuis plus de dix ans Zad Moultaka élabore une œuvre personnelle dans une tension féconde entre mémoires libanaises et création actuelle. Khaled Aljaramani a le courage de ces échappées solitaires. Il n’est inféodé à aucun pouvoir, ni à aucune esthétique.

Athar vient en donner une nouvelle illustration. Ces pièces méditatives pour oud solo, où affleure un fredonnement très intérieur, fouillent la modalité des maqam avec une extrême liberté, songeuses, interrogatives, comme en suspens. Un Bach non tempéré se devine en filigrane de la dernière pièce de cette suite, Khayl wa Khayâl, comme une question.

Frédéric Deval

© Waël Khalifa

Entretien avec Imane Ourabi

Parmi tous les instruments, pourquoi avoir choisi l’oud ?
Ce n’est pas moi qui ai choisi, c’est lui. J’ai grandi dans une famille où l’oud était un membre à part entière. Je l’ai croisé dès ma plus tendre enfance.

Vous composez pour l’oud avec une grande liberté. Qui ont été vos inspirateurs ?
J’appartiens à la famille des auteurs-compositeurs-interprètes. Certes, je suis avant tout un interprète, mais je ne me contente pas de transmettre un héritage musical. Je me sers de l’oud comme d’un moyen de création, comme d’un instrument d’innovation. Je ne pense pas être influencé par une personnalité en particulier. Je pense plutôt m’inscrire dans la longue lignée des créateurs pour l’oud comme Jamil et Mounir Bashir, Anouar Brahem et tant d’autres qui chacun à sa manière ont laissé une trace dans mon approche musicale.

Pensez-vous qu’il est possible de nos jours d’écrire des compositions musicales, nouvelles et contemporaines, pour l’oud se distinguant de la pratique des taqasim et des improvisations ?
Tout à fait, l’oud est un instrument vivant. Il est à la fois contemporain et ancré dans ses origines. Les improvisations sont contemporaines ou traditionnelles. Je m’explique : dans la musique orientale traditionnelle, les taqasim et les improvisations étaient en quelque sorte des phrases composées que l’on répétait pour introduire le chant, ni plus, ni moins. Tandis que dans la musique contemporaine, les improvisations se rapprochent beaucoup de la composition étudiée et travaillée.

Mon projet personnel consiste à composer des créations musicales pour l’oud et de l’emporter dans des dimensions novatrices, sans laisser pour compte les niveaux traditionnels de l’expression, de la sonorité et des techniques de jeu. Je m’inspire des règles de la composition et de l’improvisation de pièces comme par exemple le sama’ï ou encore les taqasim et apporte aux matrices musicales traditionnelles un contenu contemporain qui transportent l’oud vers des sphères musicales novatrices.

Des pionniers comme Jamil et Mounir Bashir, Salman Shukur et tant d’autres… ont donné à l’oud la position d’instrument majeur qu’il occupe de nos jours. A votre avis, quels sont les innovations apportées par les joueurs d’aujourd’hui ?
Le jeu de Mounir Bashir a apporté l’un des enrichissements les plus importants à l’oud. Au-delà de l’état de tarab attendu, il a su donner à l’improvisation et aux modes de composition orientales une dimension spirituelle profonde. Mounir Bashir et son oud ont contribué au développement du dialogue entre le musicien, son instrument et l’auditeur. La recherche n’a cessé d’avancer, de sorte qu’il existe de nos jours des compositions pour tous les styles des musiques du monde, du jazz au classique.

Pensez-vous que les compositeurs de la musique arabe actuelle sont motivés voire influencés par ce que désire le public ?
Je tente autant que faire se peut de préserver les règles de la musique arabe. Est où en sommes-nous aujourd’hui ? Quant au goût du public… c’est l’éternelle question. De tous temps nous avons les protagonistes qui recherchent l’adhésion du plus grand nombre et nous avons ceux qui cherchent à transmettre le goût de l’art. Le problème n’est pas tant qu’il existe deux approches différentes. Le problème concerne l’existence même d’un projet musical.

Quel éthique, à votre avis, le soliste de oud doit-il suivre ?
La sincérité et l’harmonie entre soi-même et l’univers protègent le musicien de la régression qui mène à la déformation du visage véritable de l’art. L’artiste véritable ne doit ressembler qu’à lui-même.

Quid de la musique commerciale ?
Je suis tout à fait contre, car cela mène à la régression du goût et de la sensibilité artistique.

Peut-on être porteur d’un projet artistique et enseigner en même temps ?
C’est tout à fait possible. L’enseignement peut élargir les perspectives du musicien. Enseigner procure une grande satisfaction à celui qui enseigne : c’est un dialogue qui peut aboutir à d’enrichissantes découvertes pour le maître et l’élève.

Avez-vous eu le sentiment d’avoir abandonné quelque chose d’essentiel au profit de la célébrité? Avez-vous plutôt privilégié un public restreint mais dit de « qualité »?
Pas du tout ! L’art de qualité a toujours été apprécié par une élite.

Beaucoup de musiciens de nos jours essaient d’éblouir le public avec leur virtuosité, mais peu d’artistes arrivent à marier musique d’origine et créativité, où vous situez-vous?
Je ne cherche à impressionener personne au travers de la technique. Elle est là pour servir la musique. Lorsqu’on possède la technique, le reste suit.

Il y a deux siècles, Beethoven a présenté la Symphonie N°3 (ou encore appelée Eroica), et les critiques à l’époque ont qualifié cette symphonie de « bruyante et provocante », or nous l’écoutons aujourd’hui avec beaucoup d’admiration. Comment associer la créativité artistique au besoin de découvrir toujours de nouvelles choses?
Toute nouvelle création ne doit pas forcément être étrange, elle peut attirer une bonne réaction du public. Pour des artistes avant-gardistes, il y a un public avant-gardiste quelque soit son nombre. Le temps reste le meilleur juge des œuvres artistiques car beaucoup d’œuvres ont été découvertes après la disparition de leur auteur. Il y aura toujours ceux qui sauront reconnaître la qualité d’une œuvre nouvelle.

Nous avons évidemment le droit de tenter toute sorte d’expériences qui nous ouvrent de nouveaux horizons vers la connaissance. Pensez-vous que votre expérience dans le chant est importante?
Il y a un lien très ancien entre l’oud et le chant. Même si je ne me considère pas comme un vrai chanteur, certaines phrases chantées me viennent suite à des pensées ou à des souvenirs. Je ne peux pas m’empêcher d’y donner libre cours. Elles complètent des images, ce ne sont pas des images en tant que telles, mais avec le chant les images deviennent plus claires.

Pensez- vous que l’art joue un rôle dans la compréhension du monde? Le rend-il plus beau ? Est-ce un besoin vital?
L’art émane d’une âme éternelle et créative, âme qui nous permet aussi de le recevoir. Elle est un pont entre ce qui est relatif et absolu, entre le réel et le rêve… L’art ne peut sans doute pas changer la réalité, mais il aide effectivement à la comprendre et à la dépasser vers quelque chose de plus transcendent.

Le tarab pourrait être un plaisir sensuel ou spirituel. Pensez-vous que la musique pourrait faire partie des sciences humaines ? Pourrait-elle être un plaisir intellectuel au même titre que la peinture, le cinéma, la philosophie ou la littérature ?
Il est probable que le côté spirituel ou émotionnel soit plus fort dans la musique orientale, comme en témoigne la notion unique de tarab, sorte d’extase musicale. Mais comme toutes les musiques du monde, elle est capable d’aller dans tous les sens choisis par l’auteur. Plusieurs artistes travaillent dans ce sens. Moi, également. Mais il est important de le faire sans escamoter le contenu spirituel de la musique orientale. Elle en perdrait tout son sens. La musique évolue avec ses propres fondements et avec le travail créatif des artistes.

La mode d’aujourd’hui est que: n’importe quel musicien peut jouer avec son alter ego. Il très courant qu’un saxophoniste italien joue avec un guitariste sénégalais. Ces expériences peuvent-elles évoluer pour devenir des nouvelles formes de musique ?
Ces dialogues ne peuvent qu’aboutir à des résultats artistiques, et parmi ces résultats, il y en a de bons, de moins bons et de mauvais, mais au bout du chemin, il nous restera le meilleur.

Vous avez eu l’occasion de jouer avec des musiciens français de guitare électrique comme Serge Teyssot-Gay, le clarinettiste Raphaël Vuillard ainsi que le compositeur syrien Abed Azrié qui vit à Paris et qui chante en arabe. Qu’est-ce que ces expériences vous ont apporté ? Vous ont-elles donné envie de poursuivre votre travail avec d’autres musiciens? Et comment cela a-t-il influencé votre parcours musical?
Chacune des expériences citées m’a enrichi différemment, d’autant plus que chacun de ces musiciens venait d’un monde musical différent. J’ai appris à écouter l’autre et à le comprendre, à comprendre sa sa musique. Cela est très important.

La vie est un voyage ininterrompu vers l’avenir. Quelles sont vos outils pour ce voyage et quels son vos projets futurs?
Dans la musique je cherche à travailler la couleur et le timbre et c’est pourquoi j’ai collaboré récemment avec le contrebassiste Olivier Moret pour un nouvel enregistrement. J’ai également un nouveau projet avec lSerge Teyssot-Gay.

Quels sont à votre avis les horizons de la production artistique au Moyen-Orient et notamment en Syrie où vous vivez?
Les circonstances sont difficiles mais l’art est une fleur sauvage qui pousse d’une façon inattendue.

Votre vie de famille vous pèse-elle ? Ou, bien au contraire, vous apporte-elle un équilibre?
Du côté intérieur, en effet, la famille apporte un équilibre, mais la responsabilité envers la famille n’est pas toujours facile.

Que vous inspirent les mots qui suivent…

Contemplation : C’est l’harmonie de la partie avec le tout ou son retour au tout.

Tarab : C’est oublier tous les détails et toute chose, en présence de la beauté.

Extase : C’est la fusion dans ce que nous aimons.

Silence : C’est l’autre visage du son, sans lequel ce dernier ne peut être saisi.

Retrait : C’est l’impossible.

Symbiose : C’est le retour de toutes les choses à leur origine.

Sincérité : C’est la simplicité.

Confiance en soi : C’est la connaissance.

Jeunesse : C’est une recherche permanente.

Femme : C’est le côté doux de l’être.

Humilité : C’est la complétude.

Transparence : C’est pouvoir déchirer les masques.

Maternité : C’est la créativité.

Lecture : C’est construire des ponts.

Amitié : C’est l’amour et le sens des responsabilités.

Accepter les décisions d’autrui pour vous : C’est les refuser autant que possible.

La virilité dans la société orientale : Son origine est une fausse conviction.

Iman Ourab, journaliste et poète.


  • Référence : 321.091
  • Ean : 3 149 028 014 327
  • Artiste principal : Khaled Aljaramani (خالد الجرماني)
  • Année d’enregistrement : 2011
  • Année de fixation : 2013
  • Genre : Instrumental classique
  • Pays d’origine : Syrie
  • Ville d’enregistrement : Paris
  • Langue principale :
  • Compositeurs : Khaled Aljaramani
  • Lyricists :
  • Copyright : Institut du Monde Arabe